Jean-Pierre RIOU |
Jean-Pierre Riou est issu de l'Éducation
nationale et s'est spécialisé dans la problématique des énergies
renouvelables depuis plusieurs années. Après de nombreux échanges avec
des spécialistes de la question, économistes, ingénieurs, chercheurs,
experts, il a publié de nombreux articles, dans L'Expansion, la revue de
l'Institut de Recherche Économique et Fiscale (IREF Europe), ou
Contrepoints.
Qu’on l’ait perçu ou non, le renouveau de la ruralité était
amorcé, en France, depuis de nombreuses années. Au nom de l’écologie, le
développement éolien dans les zones rurales les plus reculées scie la branche
sur laquelle repose un atout majeur du développement national et menace de
coûter bien plus cher que prévu à la collectivité.
Le rôle stratégique de ces zones rurales est l’objet de
l’analyse du rapport sur le « Pacte National » remis au Premier Ministre en
juillet 2014 par le Sénateur Alain Bertrand, qui propose de « restaurer
l’égalité républicaine » en valorisant les atouts de « l’hyper-ruralité » et
formule « des propositions de mesures nouvelles pour renforcer la mise en capacité
des territoires hyper-ruraux, afin de leur donner la chance légitime d’être au
service du développement national. »
Ce rapport caractérise l’hyper-ruralité par « 26% du
territoire (qui) accueillent seulement 5,4 % de la population française et se distinguent,
outre la faible densité de population, par le vieillissement, l’enclavement,
les faibles ressources financières, le manque d’équipement et de services, le
manque de perspectives, la difficulté à faire aboutir l’initiative publique ou
privée, l’éloignement et l’isolement sous toutes ses formes. En un mot : un
entassement de handicaps naturels ou créés. » 5
L’hyper-ruralité possèderait, dans le même temps, tous les
attraits du renouveau rural grâce à son authenticité et les richesses
écologiques de son patrimoine naturel, qui représentent « des atouts et
capacités qui jouent chaque jour un peu plus en sa faveur ». Actuellement, ces
inégalités territoriales « se creusent de nouveau gravement, faisant subir aux
territoires hyper-ruraux une accumulation persistante de handicaps dont la
plupart ne relèvent pas de la fatalité mais de choix de société, assumés ou
non. »
La page 7 de ce rapport décrit en ces termes la lutte
omniprésente de ces territoires contre leur artificialisation, banalisation et
destruction de leurs atouts: « Focalisés sur leurs difficultés de court terme
et du fait des menaces qui pèsent constamment sur eux, les territoires
hyper-ruraux sont finalement « assignés » à une politique exclusivement
défensive se résumant à : « comment ne pas perdre cela après tout le reste...
». Ce qui décrit parfaitement le piège dans lequel tombent quantité d’élus
locaux qui sacrifient l’atout maître de leur avenir en échange de la promesse
de quelques retombées fiscales destinées à endormir les consciences.
Mais ce rapport ouvre surtout les yeux sur les conséquences,
pour la collectivité, du sacrifice d’une partie de l’attrait des zones les
moins peuplées.
En constatant, p 18 : « Largement dotés en termes de
patrimoine naturel, paysager, historique, culturel… de qualité et garants de
leur pérennité pour le compte du pays voire du monde entier, les territoires
hyper-ruraux disposent d’un potentiel majeur en termes de ressourcement et
d’aménités devenu indispensable à la vie citadine, donc à la réussite de la
métropolisation elle-même. De nombreux travaux indiquent que ce potentiel, pour
peu qu’il soit préservé et mis en valeur, peut déboucher sur une économie
présentielle et touristique à la fois diffuse et redistributive (par opposition
à une industrie touristique concentrée, pour laquelle les territoires
littoraux, de montagne… sont plus avantagés), pouvant elle-même soutenir des
services nécessaires à la population permanente de ces territoires, qui profite
à son tour de l’attractivité du territoire. Cette relation « gagnant-gagnant »
entre habitants permanents et populations non permanentes ou de passage est
d’autant plus importante en France que la plupart des patrimoines, produits
d’une histoire, ne peuvent être durablement préservés qu’en y associant les
mode de gestion, activités traditionnelles (agricoles, pastorales,
artisanales…) et savoir-faire qui les conservent. Or, ceux-ci sont tributaires
de la présence humaine permanente dans le territoire : les paysages agricoles
et naturels, le bâti historique, la culture ou la gastronomie française… ne
peuvent exister sans ceux qui les font réellement vivre, sur place et à
l’année. »
Le rapport insiste sur la nécessité de conserver à tout prix
l’authenticité du petit patrimoine bâtit « En abandonnant les centre-bourgs au
profit de constructions pavillonnaires en périphéries, ces communes, à rebours
de l’idée reçue, organisent sans le mesurer la paupérisation future de leurs
habitants et se privent d’une capacité d’accueil durable en matière d’habitat pouvant
demain les aider à retrouver une réelle attractivité porteuse de la vie
communale. »
Ce rapport n’aborde pas, pour autant, la problématique de
l’effet délétère du développement éolien au sein de cette hyper-ruralité.
Pourtant, en décembre 2004, lerapport Burette alertait déjà le ministère de
l’Equipement à travers les « questions soulevées par les demandes de
construction de fermes éoliennes ». Il attirait l’attention sur l’effet
destructeur des éoliennes industrielles sur le patrimoine paysager en énonçant
clairement : « La perception visuelle d’une éolienne n’est donc pas une notion
subjective mais est parfaitement quantifiable. En pratique, l’impact visuel
croit exponentiellement avec la hauteur de l’éolienne. De nombreux calculs sur
des exemples réels montrent, qu’en moyenne, l’impact visuel double lorsque la
hauteur de l’éolienne augmente de 10m. L’impact visuel d’une éolienne de 150
mètres est 300 fois supérieur à celui d’une éolienne de 50m, alors qu’entre les
deux, le rapport de puissance n’est même pas de 1 à 10 ».
Ce rapport rappelait d’ailleurs, dans le même temps, le peu
d’intérêt de ce développement en France, dans la mesure où les subventions pour
cette production sont surtout destinées à grossir nos exportations et non à
limiter nos émissions de gaz à effet de serre et soulignait le peu de créations
d’emplois concernant le territoire national, celles-ci profitant
essentiellement au Danemark et à l’Allemagne. Notons d’ailleurs que depuis,
c’est la Chine qui tend à s’imposer sur un marché éolien mondial dans lequel la
place de la France apparaît bien illusoire.
Bien que contesté par la filière professionnelle, l’impact
des éoliennes sur le tourisme et la valeur du patrimoine immobilier font
l’objet de nombreuses observations, notamment celle du rapport de S.Gibbons
pour la London School of Economics, qui établit une dévalorisation immobilière
substantielle due aux éoliennes, à partir de l’étude de plus l’un million de
transactions. 6
A quel sort sont promis les Spiranthes d’automne, Barbastelles
d’Europe ou autres Murins à oreilles échancrées face aux milliers de tonnes de
béton des fondations éoliennes, aux chenilles de grues de 300 tonnes, ou aux
véritables hachoirs à chiroptères que constituent les gigantesques rotors d’une
envergure supérieure à celle d’un Airbus A380. Quel anachronisme représente
d’ailleurs désormais leur préservation, au coeur de ces véritables zones
industrielles. La responsabilité de la France reste pourtant engagée vis-à-vis
de l’Europe dans la préservation de ce patrimoine rare.
Comment ne pas comprendre la menace que constitue le
développement éolien sur sa cible privilégiée qu’est l’hyper-ruralité, au
prétexte avoué de sa faible densité de la population impactée par l’intrusion
du bruit, des flashs lumineux et de la rotation obsédante des pales dans son
cadre de vie ? Sans même imaginer que le besoin des élus de ces communes
exsangues pour les retombées fiscales, puisse, au contraire, précipiter leur
chute et celle des métropoles environnantes avec.
Le rapport du Sénateur A. Bertrand avertit « qu’intervenir
trop tard, après effondrement de l’hyper-ruralité, coûterait in fine beaucoup
plus cher à l’Etat et au pays dans son ensemble.» Il rappelle qu’ « Il ne peut
y avoir de sous-territoire, de même qu’il ne peut y avoir de sous-citoyen et de
minorité sacrifiée et interdite d’avenir au profit… non pas tant du bien-être
de la majorité mais plutôt du seul respect d’une vision dominante, nourrie par
les habitudes, les indicateurs, et la mécanique des processus de décision. »
Qu’on accepte de le voir ou non, les zones rurales les plus
isolées et les moins peuplées sont devenues les victimes consentantes des
promoteurs éoliens dans l’espoir de récupérer une maigre part des 100 000€ que
coûte, chaque année, chaque MW éolien à la collectivité. (Plus d’un milliard
d’euros en 2015 pour les 10 000 MW selon la Commission de régulation de
l’énergie.)
Sans même évoquer la problématique sanitaire, le mouvement
engagé d’artificialisation et de banalisation de l’hyper-ruralité par le
développement de centrales éoliennes géantes, ainsi que leurs dégâts
collatéraux sur la qualité de vie, le patrimoine paysager et les espèces
protégées ruinera l’atout historique de nos campagnes en entraînant un coût
pour la collectivité dont la mesure ne semble pas avoir été bien prise.
Jean-Pierre RIOU 26 01 2016
Jean-Pierre RIOU 26 01 2016
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