mercredi 25 septembre 2019

La fin de l'Etat stratège

 Ci-dessous, un article un peu pointu, mais révélateur de l'état d'esprit de nos décideurs!

L’arrêt du programme ASTRID : une étude de cas de disparition de l’État stratège


Article publié dans la revue "Progressiste, Science Travail & Environnement le 22 septembre 2019.

Yves Bréchet, membre de l’Académie des sciences, nous livre sa réflexion après la décision de la France d’arrêter la recherche scientifique pour les réacteurs nucléaires du futur. Un texte sans détour, en exclusivité pour la revue Progressistes. 
Par Yves Bréchet*
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L’électricité joue un rôle fondamental dans nos sociétés depuis un siècle, et donner accès à ses bénéfices est une signature du développement industriel et sociétal d’un pays. Il s’ensuit naturellement qu’elle ne peut être considérée comme une marchandise parmi d’autres, aussi bien parce qu’elle est difficilement stockable que parce qu’elle nécessite des investissements lourds pour la produire, la transporter, la distribuer. C’est pour cela que dans l’après-guerre, la République française a décidé d’en faire une mission régalienne. Cette décision a permis l’électrification du pays, le développement de l’hydroélectricité et, pour répondre à la crise pétrolière des années 1970, le déploiement du programme électronucléaire Français. Grâce à des serviteurs de l’État exemplaires comme Marcel Boiteux, nous avons hérité d’un parc électrogène et d’un réseau de distribution exceptionnel qui de surcroît positionne la France au meilleur niveau de la lutte contre le réchauffement climatique. Une certaine idéologie a voulu sortir de cette dynamique, qui était issue de la nécessité d’un bien commun, et soumettre l’ensemble aux lois du marché selon le dogme que le marché conduit nécessairement à des solutions optimisées.
Il faudra un jour faire un bilan de cette injonction doctrinaire mais une caractéristique des idéologies, quelles que soient leurs couleurs, est qu’elles sont rétives à la comparaison aux faits. Le découplage de la production et de la distribution pour cause de concurrence européenne, la nécessité de donner accès au parc hydroélectrique lors même qu’il est indispensable et tout juste suffisant pour stabiliser le réseau électrique mis à mal par la pénétration à marche forcée des énergies intermittentes, et plus récemment le choix ahurissant de se séparer de notre industrie des turbines, dans un pays ou l’énergie électrique est à 90 % nucléaire ou hydraulique, devraient suffire pour démontrer à quel point l’État a cessé d’être un État stratège pour devenir un bouchon flottant au fil de l’eau, le courant dominant étant la logique budgétaire, et les turbulences les effets de modes et les pressions électorales, ce qui nous amène fort loin des grands noms qui ont réindustrialisé la France dans l’après-guerre. Ces exemples nous montrent aussi, sans que cela puisse nous rassurer, à quel point cette tendance de fond transcende les partis politiques. La récente décision du gouvernement d’arrêter le projet ASTRID de réacteur à neutrons rapides est un cas d’école de démission de l’État, dans une vision court-termiste dont on peut raisonnablement se demander ce qui l’emporte du désintérêt pour l’intérêt commun ou de l’ignorance patente des aspects scientifiques et industriels de la question.
UN SYSTÈME ÉLECTRIQUE ROBUSTE ET COHÉRENT
Dans le tournant du millénaire, nos prédécesseurs nous ont laissé un système électrique de grande qualité. La France dispose d’un parc électronucléaire de 58 réacteurs qui contribue pour 75 % à sa production d’électricité – un cas exemplaire d’électricité à 90 % décarbonée ! – et qui en fait du pays un des meilleurs élèves de la planète en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Ayant une énergie électrique à 90 % déjà décarbonée, on pourrait penser qu’une véritable politique environnementale pour lutter contre le réchauffement climatique pourrait utiliser les moyens de l’État autrement qu’en essayant de décarboner une électricité déjà décarbonée ! On pourrait même penser que l’électrification du transport et la rénovation thermique des bâtiments pourraient être une priorité. Mais c’est sans doute trop simple pour de puissants esprits formés à l’ENA.
L’énergie nucléaire nécessite une denrée qui n’est pas inépuisable, l’uranium, et génère des déchets à longue durée de vie. Sur ces deux questions les réacteurs à neutrons rapides apportent une réponse techniquement éprouvée : la surgénération, en permettant d’utiliser le plutonium issu du retraitement des combustibles usés, et l’uranium appauvri, sous-produit de l’enrichissement, diviserait par 10 le volume des déchets produits, et assurerait notre autonomie en matière de ressources en uranium et d’autonomie énergétique pour un bon millier d’années au rythme actuel de consommation.
Actuellement, et contrairement à ce que la doxa verte affirme, personne n’est capable de dire quelle proportion d’énergies décarbonées non nucléaires est compatible avec nos sociétés industrielles. Ce n’est pas une question du coût des renouvelables, qui baisse constamment, c’est une question de physique. On ne sait pas quelles sont les capacités de stockage réalistes, on ne sait pas les modifications indispensables du réseau de distribution, on ne sait pas quelle part de production et de consommation localisées est compatible avec un mix énergétique donné, et enfin la production à partir d’énergies fossiles d’une électricité décarbonée rendue possible par un stockage de masse du CO2 est à ce jour un vœu pieux. Dans cette situation, faire le pari qu’on pourra se passer du nucléaire relève plus de la méthode Coué que de la saine gestion politique. La France devrait rester, au moins pour les décennies à venir, un pays à forte composante nucléaire, et c’est d’ailleurs ce qui avait été maintes fois répété par le président Emmanuel Macron. Mais il ne semble pas évident, au moins au vu des dernières décisions, que la cohérence soit une vertu majeure de l’actuelle politique énergétique.
DES CONSÉQUENCES EXIGEANTES POUR UN NUCLÉAIRE DURABLE : LA FERMETURE DU CYCLE
La présence d’une composante importante d’électricité nucléaire impose de regarder en face deux problèmes : la gestion des déchets (l’aval du cycle) et la gestion des ressources. La politique de « fermeture du cycle des matières nucléaires », clé de voûte de la politique électronucléaire responsable depuis presque cinquante ans, vise à éviter l’accumulation des déchets nucléaires, dont le déchet majeur est le plutonium alors que c’est un excellent combustible fissile, et à tirer le maximum d’énergie des matières premières issues du minerai d’uranium. Cette clé de voûte a été pensée par un État stratège soucieux d’assurer au pays, dans le sillage de la crise pétrolière des années 1970, une indépendance énergétique.
C’est aussi une condition pour un nucléaire durable et responsable, et c’est bien là le problème… D’aucuns aimeraient bien que le nucléaire ne soit pas durable, ce qui serait une excellente raison pour en sortir, et ils ont parfaitement compris le point dur que les gouvernants actuels semblent avoir quelques difficultés à comprendre. Il se trouve que les réacteurs à neutrons rapides (RNR) sont capables de brûler tous les isotopes du plutonium, et donc de transformer ce déchet en ressource. Ils peuvent également brûler l’uranium naturel et l’uranium appauvri. Les RNR peuvent donc transformer les déchets, en particulier le plutonium, en ressource, et consommer toutes les matières fissiles issues de la mine. Ce faisant, de facto, les RNR permettent une gestion rationnelle de la ressource « site de stockage profond ». Parmi les différentes possibilités techniques pour réaliser la fermeture du cycle, le RNR à caloporteur sodium est l’option technologique la plus mature. Arrêter le programme des RNR en arguant de solutions de remplacement est au mieux aventureux, au pis malhonnête.
Ne pas fermer le cycle condamnerait, à terme, le nucléaire dans notre pays. Renoncer à cette option sans le dire forcerait la décision politique de façon malhonnête en donnant de facto au nucléaire un statut d’énergie de transition. Garder l’option de fermeture du cycle laisse au contraire possible l’usage du nucléaire dans la proportion qui sera nécessaire car à tout moment le flux de matières entrant et sortant sera équilibré, sans accumulation, comme c’est le cas actuellement de déchets non ultimes. Ne pas fermer le cycle, c’est rendre le nucléaire non durable ni responsable : en faisant ce choix aujourd’hui, on prive demain le politique d’une marge de manœuvre et, de facto, on « décide » à sa place.
Vous me direz que d’avoir fait le choix du nucléaire dans les années 1970 conduit aussi à choisir « à la place » des générations suivantes, tant est difficile la gestion de la longue durée dans ce domaine industriel. Mais c’est un choix fait par les hommes politiques de l’époque en réponse a une crise grave (le choc pétrolier). Par contraste, le choix actuel n’a rien à voir avec la crise mondiale autrement plus grave du réchauffement climatique. Le GIEC, pourtant peu enclin à tresser des lauriers au nucléaire, déclare en 2018 que dans la lutte contre le réchauffement climatique l’énergie nucléaire jouera un rôle essentiel. Ce chapitre du rapport du GIEC a, semble-t-il, du mal à trouver son chemin jusqu’au bureau où s’écrivent les discours enflammés de nos chevaliers blancs du climat.
La fermeture du cycle est une condition indispensable pour un nucléaire durable et responsable, quelle qu’en soit la proportion. Les RNR sodium sont la technologie la plus mature pour réaliser cette fermeture. C’est le prix de l’uranium qui dictera la cinétique de déploiement de cette ressource. Et le jour ou le prix de l’uranium le permettra l’industrie qui sera prête avec une technologie éprouvée aura un avantage concurrentiel considérable. Mais il faut avoir une idée bien singulière de ce qu’est une filière industrielle pour penser qu’on pourra se positionner dans cette course en se contentant d’études papier qui par miracle s’incarneraient dans un objet industriel le moment venu. Une telle idée ne peut germer quand dans l’entrelacs de neurones de hauts fonctionnaires qui, pour reprendre le mot féroce de Rivarol, ont « le terrible avantage de n’avoir jamais rien fait ». C’est pourtant ce que l’arrêt du programme ASTRID signifie : le renoncement à construire, tout en prétendant conserver la compétence.
PENDANT CE TEMPS, AILLEURS DANS LE MONDE…
Au prix d’une pirouette rhétorique, la fermeture du cycle du combustible demeure la politique officielle de la France. Pour faire bonne mesure, on s’offrira quelques études sur des solutions technologiquement moins matures (pour être bien certains qu’elles ne passent jamais à l’étape d’industrialisation), on prétendra faire du multirecyclage en REP (alors que les problèmes de redressement isotopiques du plutonium sont largement non triviaux et que les décideurs industriels le savent… ou devraient le savoir), et par une admirable tartufferie on renoncera à la fermeture du cycle tout en prétendant le conserver. On peut être admiratif de la manœuvre en termes de communication politique sans pour autant considérer qu’elle soit digne d’hommes d’État.
Entre-temps, le monde continue à tourner… et les grandes puissances engagées dans le domaine du nucléaire, et qui ont choisi la fermeture du cycle du combustible comme politique (suivant en cela l’exemple de la France), s’engagent sur la voie de la réalisation concrète de réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (suivant la France dans ce choix, mais ne l’imitant pas dans ses hésitations et ses inconséquences).
Le premier béton du réacteur RNR-Na chinois CDFR-600 (China Demonstration Fast Reactor de 600 MWe) a été coulé le 29 décembre 2017 à Xiapu, dans la province de Fuijan. Ce réacteur est conçu et construit par CNNC (China National Nuclear Corporation). Le planning actuel prévoit sa mise en service en 2023. Cette construction se déroule dans la prolongation du programme sur les RNR refroidis au sodium qui se déroulait au CIAE (China Institute of Atomic Energy), près de Beijing. C’est dans ce centre que le réacteur CEFR (China Experimental Fast Reactor), un RNR-Na de 65 MWt/20 MWe a été construit, et mis en service en 2010. Ce réacteur a été acheté à la société russe OKBM Africantov qui en avait assuré la conception et la fabrication. Il y a plusieurs années, des négociations avaient également eu lieu à haut niveau quant à l’achat de deux réacteurs BN-800 identiques à celui mis en service en 2016 à Beloïarsk, en Russie. Ce projet d’achat de réacteurs BN-800 semble abandonné. Les relations techniques entre la Chine et la Russie sur les RNR-Na restent cependant très fortes et bien développées. CNNC annonce que les RNR-Na seront la principale technologie déployée en Chine au milieu de ce siècle. Ils prévoient une série de cinq CDFR-600 devant être construits pour 2030, suivie du projet commercial CFR-1000 déjà à l’étude. Concernant le combustible, CNNC annonce que le CDFR-600 utilisera du combustible mixte d’uranium et de plutonium (MOx RNR) avec des performances de 100 GWj/t de taux de combustion. Toutes ces informations étaient connues du gouvernement français au moment de sa décision d’arrêter le projet ASTRID.
Si nous devons aller vers des horizons culturellement plus proches de ceux des princes qui nous gouvernent, prenons l’exemple de la société TerraPower appartenant à Bill Gates. Aux États-Unis TerraPower promeut un concept de RNR-Na appelé Traveling Wave Reactor, dont les dernières évolutions de design sont finalement très proches d’un RNR-Na classique. TerraPower et CNNC ont créé un joint-venture en octobre 2017 pour le codéveloppement du TWR.
Le volontarisme chinois, tout comme l’implication forte de la Russie ou les développements soutenus par Bill Gates semblent bien indiquer que « le train se met en route ». Les Japonais eux-mêmes étaient largement partie prenante du programme ASTRID, témoignant là aussi d’un État stratège. Ce train, celui des réacteurs à neutrons rapides, bénéficie des travaux menés en France depuis 1957 avec le réacteur expérimental Rapsodie à Cadarache, opérationnel en 1969. Malgré l’arrêt de Superphénix (là aussi résultant d’arrangements politiques d’arrière-cuisine), réacteur conduisant au développement du combustible MOx pour utiliser au moins partiellement le plutonium, ces travaux nous positionnaient encore il y a quelques années en tête des grandes nations industrielles sur ce sujet. Mais il semble que, toujours créatifs dans notre capacité à manquer les rendez-vous de l’histoire, la France s’apprêter à descendre d’un train que nous avons contribué à construire, au moment même où il va partir !
COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?
Alors que la nécessité de conserver, au moins pendant quelques décennies, un parc électronucléaire important semble comprise par les dirigeants, les conséquences d’une telle décision ne semblent pas avoir été intégrées. Les arguments contre le nucléaire : stockage de grandes quantités de déchets et dépendance vis-à-vis des importations d’uranium, sont rationnellement contraignants dès lors qu’on s’est privé de la solution des réacteurs à neutrons rapides qui permet de les résoudre ! Mais pourquoi se priver de cette solution ? Comme le disait Bossuet, « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des effets dont ils chérissent les causes ».
L’argumentaire pour renoncer à la filière RNR est simple, sinon simpliste : le besoin d’utiliser l’uranium appauvri comme combustible n’est pas à courte échéance (il faudrait un triplement du cours de l’uranium pour que les RNR deviennent rentables comme réacteurs électrogènes en comparaison avec les REP standards). Plus sournoisement, la question de requalifier l’uranium appauvri en déchet, qui est la conséquence logique de l’arrêt de la filière à neutrons rapides, ne se posera qu’aux successeurs de ceux qui ont pris la décision. Et, en attendant que les réacteurs rapides deviennent économiquement nécessaires, on parie que les énergies renouvelables auront pris le relai. La baisse des coûts des énergies renouvelables, passant sous silence les questions non résolues de stockage massif et de renforcement du réseau qui contrebalancent ces alléchantes perspectives, sert d’argument pour affirmer que la sortie du nucléaire est inévitable et qu’on trouvera bien une solution pour peu que les financements appropriés soient détournés de la recherche sur le nucléaire à la recherche sur les renouvelables. Autrement dit, on saute de l’avion en espérant bien pouvoir tricoter le parachute avant de s’écraser au sol.
Le raisonnement des Chinois, qui développent aussi massivement les énergies renouvelables, profitant d’ailleurs largement des investissements européens dans ce domaine, est le suivant : si le nucléaire se développe (et il est en train de se développer massivement en Chine, en particulier dans le cadre d’un partenariat… avec la France), les besoins en combustible seront tels que ceux qui maîtriseront les technologies des réacteurs à neutrons rapides auront un avantage concurrentiel majeur. C’est un pari sur la nécessité d’une contribution importante du nucléaire dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est très certainement faux puisqu’ils sont chinois et que nos élites politiques savent toujours tout mieux que tout le monde ! Et qu’importe puisque dans trente ans nous pourrons, si besoin, leur acheter cette technologie dont nous étions les maîtres. Nul doute que, reconnaissants, ils nous l’offriront à bas prix !
On a quand même un peu de mal à voir dans la position actuelle du gouvernement autre chose qu’un exercice comptable ou un calcul politique de verdissement de son image. En renonçant à la filière RNR, les actionnaires seront heureux que l’électricien français ne s’engage pas dans des dépenses pour un futur trop lointain (le futur, voilà un terme bien étrange…). Pour avoir oublié la cohérence d’ensemble du parc électronucléaire, de ses réacteurs et de ses combustibles et de l’ensemble du cycle des matières, c’est le bien commun que l’on est en train, consciemment ou non, de détruire.
Regardons les choses en face et appelons un chat un chat : l’arrêt d’ASTRID est une ânerie historique, le gâchis de soixante-dix années d’investissement de la République, presque 1 milliard d’euros partis en fumée… Mais ce n’est qu’un révélateur parmi d’autres de la déliquescence du tissu industriel de notre pays et la décrépitude du service de l’État.
COMMENT DE TELLES DECISIONS SONT-ELLES POSSIBLES ?
Pour qu’on puisse partir dans de tels errements, un certain nombre de conditions doivent être réunies. Quand les décideurs ont un mode de raisonnement exclusivement comptable, quand ils s’imaginent avoir une stratégie alors qu’ils n’ont qu’une vision, quand ils pensent connaître un sujet dès lors qu’ils savent en faire un discours, quand ils croient qu’il suffit d’un décret pour lancer, arrêter ou relancer une filière industrielle parce qu’ils n’ont plus la moindre idée de ce qu’est un outil industriel, il y a fort à parier que les décisions seront médiocrement instruites. Dans le cas de la décision sur l’arrêt du programme ASTRID, non contents de brader des décennies d’investissement du pays, on tente de minimiser la décision en affirmant que, certes, on ne construira rien mais qu’on conservera les compétences en poursuivant des études. Comme s’il n’était pas évident, en observant les déboires de la filière industrielle ces dernières années, qu’on ne conserve des compétences industrielles qu’en continuant à construire et que c’est l’absence pendant vingt ans de projet nucléaire d’envergure qui a conduit à la situation actuelle. Il faut avoir une bien singulière conception des compétences pour s’imaginer qu’on les conserve par des « études papier » : une telle conception ne peut s’apprendre que dans les plus prestigieuses écoles de formation de nos élites, et par une fréquentation assidue des couloirs des ministères.
Si on peut pardonner au politique de manquer cette vision, et de sacrifier une stratégie a des visées électorales, au moins ont-ils l’excuse de ne pas savoir. Mais quand ils sont servis par des hauts fonctionnaires qui, faute d’avoir jamais pratiqué la science et la technique, allient une incompétence encyclopédique sur les aspects scientifiques et industriels à une mentalité de courtisans qui s’imaginent qu’obéir aux princes est synonyme de servir l’État, les derniers remparts contre les décisions techniquement absurdes cèdent.
CONCLUSION : UN CAS D’ÉCOLE DE L’ÉTAT STRATÈGE À L’ÉTAT CAMÉLÉON
Au-delà de l’erreur stratégique que constitue l’abandon de la filière à neutrons rapide et de l’hypocrisie – ou de l’ignorance – consistant à prétendre garder la politique de fermeture du cycle, le nucléaire sert une fois encore, pour son malheur, de cas d’école pour mesurer la dégradation des capacités de l’État stratège.
À supposer, au bénéfice du doute, que nous ne soyons pas devant un cas de cynisme total et de calculs électoralistes d’arrière-boutique, il nous faut admettre que l’État, au plus haut niveau décisionnel, est incapable d’avoir une vision globale de la question énergétique en général et de la question du nucléaire en particulier. Cette incapacité résulte de l’illusion de savoir quand on ne fait qu’effleurer, qui rend nos décideurs incapables de bénéficier d’analyses scientifiques et techniques dont ils ne ressentent pas même le besoin.
L’État stratège, qui dans les années 1970 a pensé une politique énergétique qui assurait l’indépendance du pays par un usage optimal des ressources, a cédé la place à un État caméléon, qui rend le pays dépendant de la Chine pour le photovoltaïque et le met entre les mains de la Russie pour l’approvisionnement en gaz…, tout en s’autorisant de la lutte contre le réchauffement climatique alors que rien dans cette lutte ne justifie la décroissance de l’énergie nucléaire.
Cette accumulation de contresens donne aux dirigeants actuels, par cette décision d’arrêter le projet ASTRID, le douteux privilège de rentrer dans l’histoire non pas par la grandeur des projets qu’ils pourraient lancer mais par l’incapacité à comprendre la valeur des projets dont ils ont hérité et dont ils décrètent l’arrêt avec une légèreté confondante.
Par charité, on peut mettre cela sur le compte de l’inexpérience, mais alors rappelons-nous la parole de l’Ecclésiaste : « Malheur à la ville dont le prince est un enfant. »
*YVES BRÉCHET est membre de l’Académie des sciences.
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A propos de …
Qu’est ce que le projet ASTRID ?
Le projet ASTRID avait pour objectif la conception et la réalisation d’un réacteur à neutrons rapides de 4ème génération de 600 MWe afin de réaliser une démonstration industrielle des options innovantes retenues pour ce réacteur et de disposer le moment venu d’un retour d’expérience important pour fiabiliser le déploiement d’une filière industrielle. Le projet s’appuyait sur deux piliers : la R&D et les études d’ingénierie. Même si le principe de la technologie est le même que pour Superphénix (lui-même arrêté par le gouvernement Jospin, pour des raisons politiques), ASTRID devait amener la conception des réacteurs précédents aux standards de sûreté les plus modernes, y compris la prise en compte dès la conception des leçons tirées de l’accident de Fukushima. Il devait aussi permettre de prendre le temps du retour d’expérience d’exploitation avant le déploiement industriel et mettre à profit ce retour d’expérience pour améliorer les performances, du combustible par exemple, de sorte d’améliorer la compétitivité d’une future filière. Avant les demandes gouvernementales de réduction budgétaire, le projet impliquait environ 300 temps pleins au CEA et autant du côté des 14 partenaires industriels, en particulier ce qui est aujourd’hui Framatome, mais aussi Bouygues, Alstom et d’autres, avec un budget annuel situé entre 80 et 100 millions d’euros. Fin 2017, plus de 800 M€ avaient déjà été consacrés à ce programme.  Le projet, piloté par une équipe d’environ 30 personnes au CEA, a débuté en 2010. L’avant-projet sommaire a été terminé fin 2015 et l’avant-projet détaillé a été lancé début 2016. Cet avant-projet détaillé n’ira pas jusqu’à son terme en raison des décisions prises en 2018.
Qu’est ce que la fermeture du cycle ?

Cette stratégie consiste à utiliser le plutonium conjointement avec l’uranium appauvri, pour en faire un combustible qui, dans le réacteur, régénère le plutonium et in fine, conduit a consommer uniquement de l’uranium appauvri qui de déchet devient ressource. Le cycle actuel effectue ce qu’on appelle le mono-recyclage (c’est le combustible MOX) mais ne peut effectuer de multi-recyclage, le cycle des RNR devait être capable de multi-recycler le plutonium. Le parc actuel de 60GWe, base sur cycle actuel avec mono-recyclage en réacteur à eau pressurisée sous forme de MOX, consomme chaque année 8000 t d’uranium naturel par an, conduisant a 6900 t d’uranium appauvri, 940 tonnes d’uranium de retraitement, 40 tonnes de déchets ultimes (immobilisés dans des matrices de verre), 120 tonnes de combustibles MOX usés (entreposés en piscine actuellement) contenant 7 tonnes de plutonium. La même puissance fournie par un parc de Réacteurs a Neutrons rapide peut fonctionner avec l’uranium appauvri déjà disponible (à raison de 40t/an, le stock actuel de 300000t) et ne nécessite donc pas d’importation minière (pendant 7500 ans !). Et la quantité de déchets ultimes reste de 40t/ans et 10 fois moins de déchets à vie longue (dont le Plutonium est le plus abondant). Avec son « cycle fermé », le RNR utilise environ 100 fois mieux la ressource naturelle que les réacteurs à eau légère comme les REP, stabilise le bilan en Plutonium et ne dégrade pas le bilan en déchets à vitrifier.

mardi 17 septembre 2019

L'aveu

La nouvelle est tombée,


« la société ABO Wind a l’issue des premières études de faisabilité de son projet éolien sur la commune de Saint-André-le-Désert et après 4 mois de mesure de la vitesse du vent au moyen d’un LiDAR (appareil de télédétection en météorologie qui utilise les ondes sonores pour mesurer la vitesse et la direction des vents) n’est pas en mesure d’envisager un projet viable pour les années à venir.

Photomontage Saint André le Désert
En bref, ABO Wind renonce à son funeste projet non pas en raison des arguments avancés et jamais contredit par les associations d’opposants, mais en raison du manque de vent. Manque de vent reconnu par les habitants de Saône et Loire, Méto- France, l’ADEME, et par tous ceux qui prennent soin de se renseigner.

Ce promoteur le reconnaît, il n’y a donc pas assez de vent à St André le Désert pour rentabiliser cette énergie éolienne, pourquoi voulez-vous que les conditions soient différentes à 20 km de là à St Romain sous Gourdon ou même à quelques encablures supplémentaires à St Bérain  sous Sanvignes ?

C’est un cruel aveu que l’implantation d’éoliennes ne repose pas sur des critères scientifiques mais bien parce que l’énergie verte des éoliennes est subventionnée soit achetée deux fois le prix des autres énergies au plus grand profit des investisseurs étrangers ou fonds de pension allemands ou chinois principalement

Cette reddition en basse campagne interpelle sur de nombreux points,

•  Pourquoi la région a-t-elle investi dans le SRE de Bourgogne qui précisait déjà une faiblesse de vent sur cette commune ?
•  Le Conseil départemental va-t -il encore regarder le développement éolien avec complaisance sur le département.
•  Est-ce que le LiDAR de la société d’ABO Wind est aussi précis dans ses résultats de mesure que le mât de mesure installé sur la commune de La Chapelle au Mans ? Sinon il y a des interrogations à se poser également sur la viabilité du parc de La Chapelle au Mans. Déjà que la puissance des éoliennes avait été augmentée discrètement pour passer de 3 MW à 3,6MW après l’arrêté d’autorisation d’exploiter. Cette subtilité ne révèle-t-elle pas la faiblesse de ce dossier ?
•  Tous les maires ruraux des communes de Saône et Loire peuvent s’interroger sur les risques financiers qu’ils feront courir à leurs administrés, si un promoteur jette son dévolu sur leur commune.
•  Mr le maire de Saint-Bérain-sous-Sanvignes serait bien inspiré de reconnaître l’abandon du projet dont le résultat des mesures du LiDAR installé par Eolfi n’est pas encore connu officiellement. En attendant, Eolfi a disparu au profit d’un nouveau promoteur, peut-être moins regardant ?
•  Est-ce que ce sont les élus communaux qui démarchent les promoteurs pour obtenir leur projet éolien?

Nous ne savons pas encore s’il faut remercier ABO Wind pour son professionnalisme en reconnaissant la faiblesse du vent et préférant se retirer ou fustiger ABO Wind comme tous autres promoteurs qui lance un caillou en direction du ciel et attend de voir sur quel pigeon il retombe !

En niant les progrès de la science et en ne proposant que des idées de développement datant de plus 3 siècles, où à cette époque la population vivait avec 100 % d’énergie renouvelable, nous sommes bien loin de pouvoir espérer gagner le combat contre le réchauffement climatique ! »


 Joël JOUVE

Pdt de la fédération « Vent de Sottise 71 »

Ci-dessous le communiqué d'abandon d'Abowind, qui ne remet pas en cause le bien fondé de nos affirmations...





lundi 16 septembre 2019

Éoliennes: Le Vent de la colère

Un nouveau reportage de 19 minutes d'Armel Joubert des Ouches


Pour son deuxième long format, Boulevard Voltaire a enquêté sur les éoliennes et la façon dont elles sont perçues. Manifestants, élus, particuliers, caméras cachées... Tout ce que vous vouliez savoir sur l'éolienne!

Une production de Boulevard Votaire: Éoliennes: Le Vent de la colère

L’éolien en Allemagne, une impasse technique et écologique

Les idées présentées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celle de European Scientist. Il s’agit d’une tribune libre rédigée par un éminent spécialiste dans le domaine, qui contribue au débat sur la transition énergétique. Nous apportons cependant tout notre soutien au travail de Bernard Durand dont le sérieux et l’engagement ne sont plus à prouver.

    Le 5 Septembre, nous informe le journal «Le Monde», s’est tenue en Allemagne une réunion de responsables politiques et industriels de très haut niveau pour tenter de trouver une réponse à la crise de l’éolien qui s’y développe actuellement[1]. Les investissements dans la construction d’éoliennes, y compris en mer, sont en effet maintenant en diminution rapide, tandis que beaucoup d’éoliennes en fin de vie devront bientôt être démantelées et remplacées. La cause principale en est bien sûr le nouveau mode de rémunération des capitaux investis, non plus par obligation d’achat à des tarifs contractuels sur des durées de 15 à 20 ans, mais par appels d’offres, méthode jugée insatisfaisante par les industriels. Il y a aussi, après une longue tolérance, le rejet croissant par les Allemands des conséquences humaines et écologiques du développement à marche forcé de l’éolien, qui retarde la réalisation des projets.

  Mais le rêve allemand de ne produire l’électricité qu’à partir de sources dites renouvelables, éolien et solaire photovoltaïque principalement, et donc sans nucléaire, charbon et gaz, se heurte aussi à la réalité physique. Car c’est un objectif qui restera techniquement impossible tant que l’on ne saura pas stocker et déstocker l’électricité éolienne et solaire en quantités 100 fois plus importantes que maintenant[2] : cela pour pouvoir ajuster à la demande des consommateurs les fluctuations naturelles de l’éolien et du solaire, dites fatales ou non-pilotables parce qu’elles sont indépendantes de la volonté des hommes. On est actuellement contraint pour réaliser cet ajustement de faire appel à des centrales dites pilotables, qui produisent en contrepoint de l’éolien et du solaire photovoltaïque. Elles sont surtout nucléaires et hydroélectriques en France, à charbon et à gaz en Allemagne. L’Allemagne a certes déjà fermé 13 GW de réacteurs nucléaires, mais la puissance totale de ses centrales pilotables y est restée la même[3], une augmentation de la puissance en gaz ayant compensé la perte de puissance en nucléaire. D’où des émissions de gaz carbonique (CO2) de la production d’électricité qui depuis des années n’ont pratiquement pas baissé. Elles font de l’Allemagne le plus grand producteur de ce gaz à effet de serre en Europe.

  Le choix de l’Allemagne de préférer le charbon au nucléaire pour la production d’électricité est en fait ancien. Le charbon a été la source de son remarquable développement économique à partir de 1850. L’industrie et les syndicats du charbon sont encore à l’heure actuelle très puissants en Allemagne, même si les dernières mines souterraines de charbon de bonne qualité, le « hard coal » des Américains, viennent d’être définitivement fermées. En contrepartie, les importations de ce hard coal n’ont cessé d’augmenter et atteignent maintenant 60 millions de tonnes par an. D’autre part les immenses exploitations à ciel ouvert de lignite (brown coal), charbon de très mauvaise qualité et très polluant, sont toujours là, avec des réserves correspondant à au moins un siècle d’exploitation au rythme actuel. Le nucléaire, bien que 23 GW de centrales aient été construites à la même époque que les nôtres, y a souffert constamment dans l’opinion d’une très mauvaise image, créée et entretenue dit-on pendant la guerre froide par l’Union soviétique.

  Je me souviens d’une conversation à ce sujet il y a bien des années avec des étudiants allemands lors d’une « Ecole d’été » à La Rochelle. A ma question de savoir pourquoi ils préféraient le charbon au nucléaire, alors que leurs centrales nucléaires n’avaient pas fait de morts, tandis que le charbon avait provoqué tant de morts chez eux, dans les mines, mais encore plus du fait de la pollution atmosphérique associée, et maintenant menaçait le climat, ils m’ont répondu : nous sommes habitués depuis longtemps au charbon, et on ne parle jamais chez nous de ses dangers. Le nucléaire est encore trop récent, et on nous en dit constamment du mal.

  Le gouvernement allemand a planifié dit-il de fermer ses centrales à charbon en 2038, ce qui est bien tard. En l’absence de nucléaire, il lui faudra les remplacer par des centrales à gaz, qui ne valent guère mieux pour le climat. Mais ce gaz sera jure-t-il du gaz « vert », c’est-à-dire du biogaz produit à partir de biomasse. Ce sera, compte-tenu des limites naturelles de la ressource en biomasse, beaucoup plus vraisemblablement du gaz russe. D’ailleurs les gazoducs nécessaires sont en construction et seront bientôt achevés. L’Allemagne aura alors des émissions de CO2 de sa production d’électricité qui auront sensiblement baissé, mais pas suffisamment, et sera devenue dépendante du gaz russe (3). Et ses émissions du principal constituant du gaz naturel, le méthane (CH4), gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2, augmenteront, ce qui fait qu’au bilan il n’y aura probablement que peu de bénéfices pour le climat de la diminution de ses émissions de CO2.

  L’Allemagne, en voulant développer à tout prix l’éolien et le solaire photovoltaïque plutôt que le nucléaire pour produire son électricité, c’est donc mise dans une impasse technique et écologique dont elle ne voit pas l’issue. Bien au contraire, elle s’y complaît. Car lors de la réunion de crise du 5 Septembre, les participants ont cherché les moyens financiers de relancer l’industrie éolienne, plutôt que de mettre fin à cette gabegie.

  Le coût de ce développement est énorme, et a déjà entraîné en Allemagne un doublement du prix de l’électricité pour les ménages (2).

  En fait l’Allemagne, comme chez nous l’écologie dite politique, préfère assouvir son obsession antinucléaire  quel qu’en soit le prix, plutôt que faire face à l’urgence climatique, mais essaie de nous faire croire le contraire. Gardons-nous de l’imiter !

[1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/09/06/en-allemagne-la-crise-de-l-eolien-menace-la-transition-energetique_5507061_3234.html
[2] https://www.sauvonsleclimat.org/fr/presentation/etudes-scientifiques/1963-intermittence-et-foisonnement
[3] https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/cachez-ce-charbon-que-nous-ne-saurions-voir/

Un black out général en Europe en 2035

Personne n’est en mesure actuellement de prévoir ce qui peut se passer en cas de problème sur un réseau européen à majorité d’énergies renouvelables aléatoires et diffuses.
Par Michel Negynas.

Ci-dessous la production française d’électricité par filière en juin, juillet et août. L’éolien est en bleu clair, le solaire en jaune foncé : ils sont marginaux. Nous en avons pourtant installé 25 GW, l’équivalent de 16 EPR !

On voit que les seuls moments ou l’éolien devient un peu significatif, c’est par des « coups de vent » d’une journée ou deux. Non seulement cela ne sert à rien, mais cela pourrait poser de gros problèmes si nous réalisons le programme de développement des énergies renouvelables (ENR) à 2035.

Que s’est il passé sur le réseau électrique le week-end des 10 et 11 août ? (voir ECO2 mix, l’excellent site de RTE, Réseau de Transport Electrique, filiale d’EDF)

La puissance appelée par le réseau était de l’ordre de 40 GW, contre 90 GW à la pointe d’hiver. Normal en période de vacances et de chaleur. Comme d’habitude, la consommation a chuté, de l’ordre de 6 GW de pointe à pointe entre le vendredi et le samedi :

Mais il  se trouve que le vent est passé de 4 à 9 GW entre vendredi midi et samedi midi… et manque de chance, le Soleil s’y est mis aussi, mais lui, comme d’habitude : il a pris 5 GW dans la journée de samedi entre 7 h et midi !

Résumons-nous : la consommation baisse 6 GW, la production aléatoire augmente de 10 GW… 16 GW de baisse à gérer pour les centrales pilotables dans la journée de vendredi et samedi…
En 7 heures, le nucléaire a du baisser de 10 GW la nuit de vendredi à samedi… une gymnastique périlleuse non pas à cause du volume, mais de la vitesse de la baisse, d’autant qu’il lui a fallu ré‑accélérer dans la journée de dimanche, où la situation était encore plus critique : en effet, le vent était retombé à 2 GW, après une chute encore plus brutale que la montée et le Soleil brillait un peu moins. De 18 h à 22 h 30 samedi, la production des ENR a perdu 5,7 GW, plus d’un GW par heure !

Le gaz s’est adapté lui aussi… cette gymnastique a dû faire dégringoler les rendements… Bonjour le CO2 !

Les exports ont baissé à 0 GW… très brièvement, le dimanche, sans doute le signe d’une grande confusion sur les interconnections.

En Allemagne, c’est la même chose. Le vent est en bleu gris : arrêt du charbon, et du lignite (gris et noir)… et même, apparemment, de certaines fermes solaires. Mais  les Allemands, comme à leur habitude, résolvent leur problème en partie par l’export (partie négative de la courbe). En fait, ils ne conservent de pilotable quasiment que le nucléaire (en rouge) et la biomasse (en vert). (voir Energy charts du site de Frauenhofer Institute). Au plus fort du Soleil et du vent, près des deux tiers du mix était composé de producteurs diffus et volatiles. Cela ne marche probablement que parce que l’Allemagne a des interconnections multiples avec les réseaux de ses voisins, moins ENRisés, qui lui sauvent la mise pour garder un réseau stable. 

Mais cela ne leur a pas rapporté beaucoup…

Les prix ont chuté vertigineusement en négatif… Pauvres Allemands qui subventionnent l’électricité de leurs voisins…

Accessoirement, le récent black out partiel en Angleterre est survenu le 9 août à 18h… Il y a sans doute de nombreuses causes, dont la foudre, mais l’une d’elles est certainement la vulnérabilité du réseau pendant la montée en puissance du vent : l’Angleterre a le plus grand taux de pénétration de l’éolien en Europe.

Cette situation montre bien la situation dangereuse dans laquelle on met notre alimentation électrique, (et pas seulement à la pointe d’hiver, où nous risquons de manquer de capacité) ; or nous n’avons que 25 GW de solaire et d’éolien. Il est question de passer à 90 GW !  Et nos voisins ont les mêmes objectifs !

Extrapolation à un scénario 2035

Quelques considérations techniques
Peu de gens se rendent compte de la prouesse réalisée par les ingénieurs concepteurs et gestionnaires du réseau électrique : équilibrer en permanence, et en tous points, l’offre et la demande. Les écarts peuvent se traduire par des écarts de la fréquence, de la tension, des surcharges de ligne, qui en se déconnectant par protection, mettent tout en danger… Et il y a d’autres paramètres, peu connus du grand public, qu’il faut absolument contrôler eux aussi, comme la puissance réactive.
Pourtant, tous les jours, la demande varie fortement entre creux et pointe : c’est gérable car très prévisible.
L’ajout de sources aléatoires diffuses qui de plus ne peuvent jouer de rôle stabilisateur (une éolienne ou un panneau solaire n’ont pas d’inertie comme un groupe turboalternateur de 1000 MW…) rend la gestion difficile. On peut bien sûr ajouter des équipements pour limiter les risques : c’est coûteux, et source de complexité supplémentaire. Pour pallier tout cela, certains proposent même de faire tourner à vide de vieilles centrales à charbon ou nucléaires…
En outre, les variations de la demande, très prévisibles, peuvent être amplifiées par les variations de l’offre aléatoire, qui ont un moindre caractère de prévisibilité.
Projetons-nous en 2035 avec un cas de figure comparable à celui des 10 et 11 août, c’est-à-dire un coup de vent d’un jour, avec zones orageuses. 
Nous aurons 5 fois plus de solaire et trois fois plus d’éolien ;  entre 8 h et midi le Soleil grimpera de 25 GW et l’éolien de 15 GW de vendredi à samedi, soit 4O GW au total… Et la consommation baisse… 46 GW, ce n’est plus possible, c’est plus que d’arrêter tout le reste… Or il faut conserver de la réserve tournante : la preuve, il faudra ré‑accélérer à fond la caisse les centrales pilotables le dimanche, car le vent tombera.
Revenons au samedi ; il faudra donc arrêter des éoliennes et des panneaux solaires, (et ce n’est pas aussi facile qu’on le pense,) en même temps que baisser au minimum presque tout le parc nucléaire.
À l’inverse, le dimanche après-midi, il faudra réactiver progressivement toutes les centrales pilotables précédemment en service, dans un temps relativement court, tout en gardant l’équilibre du réseau en tout point.
Or nous sommes en pleine perturbation météo, il y a de l’orage dans certaines régions… Pas de chance, la foudre tombe sur un poste de transformation de 400 000 V… (c’est peut-être ce qui est arrivé en Angleterre). Ce serait déjà critique sur un réseau stable ; mais en pleine montée ou descente rapide des centrales pilotables et de la multitude de production diffuse, c’est la catastrophe. Pas de marge de manœuvre. La fréquence monte ou baisse au-delà des normes ; les protections automatiques des équipements de production réagissent. Black out.
Or, tous les pays européens auront fait exactement la même chose que nous en 2035 (parfois en pire, voir l’Espagne) en matière de mix électrique et contrairement aux idées reçues, la météo est souvent la même sur l’ensemble de l’Europe. La gestion des interconnections est délicate, car transnationale (problèmes de langues, d’ego, ou même financiers) alors que les réactions doivent être instantanées. La probabilité est forte que tout le réseau européen s’écroule comme un château de cartes.
Mais connecter ou déconnecter un équipement de production n’est jamais une opération simple. A fortiori en cas de black out.
La suite est un cauchemar. Les éoliennes devront se mettre illico en sécurité par vent fort : dès qu’elles sont coupées du réseau, leurs pales doivent se mettre en drapeau et freiner instantanément. Imaginons que le dispositif soit fiable à  99,9 % ; cela vous paraît pas mal ? Eh bien sur les 15 000 éoliennes en service en France, 15 verront leurs pales partir en orbite. Espérons que personne ne sera à proximité.
Les panneaux solaires : le Soleil ne s’arrêtera pas de briller pour autant là où il n’y a pas d’orage. Pour les multitudes d’onduleurs, y compris chez les particuliers, en principe, cette situation de coupure du réseau, avec risque de surchauffe, voire d’incendies… est prévue. En effet, tous sont équipés de dispositifs qui ouvrent leur circuit en cas de problèmes sur le réseau. (Car les volts restent, eux, localement, aux bornes des panneaux, tant que le Soleil brille !) C’est indispensable pour la sécurité de l’installation, du réseau, et surtout des personnes appelées à travailler sur le réseau. Comment être sûr que ces centaines de milliers de dispositifs vont tous parfaitement fonctionner ? Que certains bricoleurs du dimanche n’ont pas voulu « améliorer » leur installation ?
Les grosses centrales thermiques doivent réussir aussi instantanément leur « îlotage », en cas de coupure du réseau, c’est-à-dire se mettre en position de circuit fermé, n’alimentant que leurs propres besoins. C’est toujours délicat. En cas d’échec, c’est l’arrêt complet, et de longues heures pour redémarrer, et pour les centrales nucléaires, c’est compter sur le diesel de secours pour assurer le refroidissement…
Coté utilisateurs, on peut avoir une idée à partir de la situation du 9 août en Angleterre : bouchons sur les routes en absence de signalisation, des centaines de milliers de personnes coincées dans les transports ferroviaires… des urgences sanitaires impuissantes…
Et les voitures électriques n’auront qu’un temps… celui de l’autonomie de leur batterie.
Pour les hôpitaux, ceux dont les diesel de secours seront un peu lents à démarrer (il y en aura) déploreront des morts en salle d’opération.
Le redémarrage sera laborieux, surtout parce qu’il faudra vérifier que les milliers d’éoliennes et de panneaux solaires sont dans des configurations de sécurité, pour eux et pour les réseaux. En outre, la majorité des éoliennes et des panneaux solaires ne peuvent démarrer sans être connectés à un réseau stable ; ils ne seront d’aucun secours pour le redémarrage.
En réalité, personne n’est en mesure actuellement de prévoir ce qui peut se passer dans un tel cas sur un réseau européen totalement à majorité d’ENR aléatoires et diffuses. Il est facile de démontrer que tous les récents incidents ou quasi incidents ayant survenu sur les réseaux (Europe, Australie, New York…) ont des causes initiales diverses : arrêt d’une grosse centrale, erreur de mesure, perte d’une ligne haute tension… sans préciser que la situation a été rendue plus difficile à gérer du fait de variations rapides de la puissance délivrée par le vent et le Soleil.
D’ici 2035, la technologie peut évoluer… ou pas. Et 15 ans, c’est peu pour l’investissement industriel. Et même dans ce cas, il faudra inclure le coût des équipements supplémentaires rendus indispensables dans le coût de l’électricité ENR.
Avant de développer les ENR intermittentes à hauteur de 90 GW, il faut d’urgence étudier vraiment, à partir de situations concrètes, les risques liés à la sécurité du réseau électrique car les études de référence de RTE, utilisant des méthodes probabilistes, ne permettent pas de statuer et elles ne tiennent pas compte de l’évolution des réseaux interconnectés voisins.