Les paysages de Lozère sous la pression des éoliennes industrielles
Dans le département le moins peuplé de France, les projets d’implantation d’éoliennes industrielles se multiplient. Les opposants s’inquiètent des dégâts paysagers dans un territoire où le tourisme est une ressource essentielle, mais certaines communes, en mal de financement, se laissent tenter.
- Lozère, reportage
Elles sont ici probablement les plus hautes constructions de la main de l’homme depuis la cathédrale gothique de Mende, qui culmine à 84 mètres. Elles, ce sont les éoliennes qui dominent les crêtes de la Lozère, jusqu’à 126 mètres de hauteur. Une vingtaine de mâts sont censés ouvrir la voie à de nombreux autres projets éoliens dans le département le moins peuplé de France, au grand dam de militants mobilisés depuis une dizaine d’années, et toujours vent debout contre une source d’énergie qui, selon eux, ne serait pas vertueuse.
Loin de ceux qu’il appelle les « écolos de salon », Michel Cogoluègnes est un historique de ce combat. Pourtant, il n’a pas été révolté par les premiers projets éoliens. « Quand j’ai entendu parler du projet Lou Paou pour la première fois [sept éoliennes sur les communes du Chastel-Nouvel, et de Rieutort-de-Randon mises en service en 2006], je me suis dit : “Pourquoi pas, c’est très bien.” Ça a été ma première réaction. » Dans l’absolu, les éoliennes, il n’a rien contre. Il a d’ailleurs le projet d’en installer une derrière sa maison, non loin du village de La Villedieu, où neuf éoliennes sont prévues. Sauf que, chez le porte-parole de l’association Les Robins de la Margeride, l’aérogénérateur ne dépassera pas la taille d’un arbre, soit une douzaine de mètres de haut.
Un élément de poids dans l’escarcelle des militants
L’action collective d’une dizaine d’associations réunies dans le collectif Patrimoine lozérien a permis qu’il n’y ait « pas eu de nouvelle éolienne en Lozère depuis trois ans », selon lui. « On fera tout pour qu’il n’y en ait pas une de plus », ajoute-t-il. Pourtant, les projets, plus ou moins avancés, ne manquent pas. Si tous aboutissent, 126 éoliennes parsèmeront le nord du département, une zone pourtant peu battue par les vents.
Michel Cogoluègnes est un historique du combat contre les éoliennes industrielles en Lozère et porte-parole de l’association Les Robins de la Margeride. |
D’après EDF Energies Nouvelles, contacté par Reporterre au sujet des éoliennes installées en 2006 (Lou Paou), “le gisement de vent sur la zone de projet, significatif, permet l’implantation d’éoliennes”, et “les chiffres sur l’exploitation et la production (...) sont satisfaisants. Le parc permet de subvenir aux besoins en électricité de 14 000 habitants soit la population de la ville de Mende, située à 10 Km du parc”, nous a-t-on expliqué par courriel.
Gisement de vent ? La carte indique en fait que le département n’est pas vraiment une ressource éolienne.
Quant à l’électricité produite, elle repart dans le réseau national. Alain Bertrand, ex-maire de Mende et sénateur socialiste du département nous dit d’ailleurs regretter “qu’on ne puisse pas utiliser localement l’électricité produite”.
En ce mardi ensoleillé du mois de mars, Michel se réjouit de l’avis défavorable qui a conclu, la veille, la seconde enquête publique sur l’extension de Lou Paou avec cinq éoliennes supplémentaires. 418 observations, dont 295 défavorables, ont été déposées. C’est deux fois plus de réactions que pour la première enquête publique qui s’était, elle aussi, terminée par un avis défavorable. Dans son rapport, la commissaire enquêtrice s’interroge : « Pourquoi doit-on insister sur ce projet, alors qu’un cumul de raisons suffisantes peut nous amener à la conclusion que l’agrandissement du parc Lou Paou n’est pas adapté ? » Cet avis n’est que consultatif et la décision sera prise, en bout de course, par le préfet. Mais il constitue un élément de poids dans l’escarcelle des militants.
Car, ici comme ailleurs, l’éolien est à la mode. À peine cinq jours plus tard, et malgré deux enquêtes publiques défavorables, le préfet a donné son feu vert pour l’implantation de cinq éoliennes à Champcate, sur les mêmes communes. Les opposants entendent déposer un recours. Mais la loi de transition énergétique et l’objectif des lois Grenelle de 19.000 mégawatts installés pour l’éolien terrestre en France en 2020 incitent les promoteurs à déployer de plus en plus d’éoliennes.
“La Lozère n’est ni un territoire propice, ni un territoire non-propice. Elle fait partie intégrante du territoire français, lequel doit aller vers le développement d’une énergie durable”, considère Alain Bertrand, qui aurait néanmoins souhaité que les projets répondent à un schéma départemental et non régional, afin de réduire les nuisances sur les paysages et “d’évaluer le tribut de chaque département en matières d’énergies renouvelables”.
En 2012, la Direction départementale des territoires lozérienne a fixé à 120 mégawatts le « potentiel maximum » du département en termes d’énergie éolienne terrestre. À ce jour, la Lozère a une capacité de production installée de 34 mégawatts.
« On n’a pas le droit de sacrifier un paysage unique en France et peut-être en Europe »
Les éoliennes déjà installées de Lou Paou |
Sur place, les élus locaux se laissent souvent convaincre, alors qu’une grande majorité de petites communes fait face à des difficultés financières, car les éoliennes sont lucratives : taxes foncières, cotisations des entreprises, imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (Ifer)… Plus les éoliennes sont nombreuses et puissantes, plus ça rapporte.
Concernant l’extension du parc Lou Paou, EDF-EN précise que “la majorité des communes ont apporté leur soutien à ce projet de densification de l’éolien à l’issue de l’enquête publique (7 sur 10 communes ont répondu favorablement)”, et ajoute qu’un loyer pour 3 éoliennes sera reversé à la commune d’implantation, la Contribution économique territoriale et l’Impôt forfaitaire sur les entreprises de réseaux reviendra à la Commune et à la Communauté de Communes, au département et à la Région”. Nos demandes d’explications concernant le “loyer” en question sont restées sans réponse.« Cela revient à se couper un bras pour toucher une rente d’invalidité ! » raille Michel Cogoluègnes, persuadé que la seule motivation des élus « n’est pas le réchauffement climatique, c’est de toucher de l’argent ». Pourtant, les menaces sur l’emploi touristique ne seront probablement pas compensées par la dizaine de postes de maintenance envisagés. Pour les habitants proches des installations pèse aussi la crainte d’une dévaluation de leurs biens.
Alors, en Lozère, même si la population est partagée, les militants locaux sont convaincus : l’industrie éolienne n’a rien à faire dans ces paysages préservés. « On capitalise sur l’image, l’absence d’industrialisation. Si ce capital est bousillé par quelques maires capables de vendre le bien commun, cela rejaillira sur tout le monde », s’emporte Pascale Debord. Dans une délibération du 21 décembre 2012, le conseil général de la Lozère a d’ailleurs donné « un avis défavorable à tout développement de l’éolien sur le territoire de la Lozère au regard de ses espaces dont la forte identité paysagère et environnementale est incompatible avec ce type d’implantation ». « On n’a pas le droit de sacrifier un paysage unique en France et peut-être en Europe », enrage Catherine McLean, présidente de l’Association des riverains du Bès.
Si les paysages sont menacés — les éoliennes du projet Lou Paou II doivent atteindre 126 mètres de haut —, la biodiversité pourrait l’être aussi. Les vautours fauves et moines, les milans royaux, les buses, mais aussi les chauve-souris courent des risques de collision avec les grandes pales des éoliennes. Au sol, après le dessouchage des arbres et la construction des voies d’accès pour les engins, ce sont pas moins de 300 à 450 m3 de béton qui sont coulés pour le socle de chaque éolienne. « Ce n’est pas une mince affaire, les dégâts sur l’environnement sont considérables notamment sur le réseau hydrographique et les sources au sommet des montagnes », ajoute Pascale Debord.
Le sujet cristallise de fortes tensions
« Quand on voit les terrassements, le coût du fioul utilisé, le cuivre nécessaire, on se demande en quoi les éoliennes sont écolos », souligne Michel Cogoluègnes. « Nous avons le désir de conserver le capital environnemental intact pour les générations futures. Je considère que nous sommes les vrais écologistes », abonde Pascale Debord. Sans compter que « l’intermittence de la production conduit à l’utilisation d’autres formes d’énergie sans bénéfice écologique », comme le note Catherine McLean. D’ailleurs en 2012, le parti EELV, pourtant favorable au développement des énergies renouvelables sur le plan national, a pris position contre l’éolien en Lozère.
Le sujet est complexe et il cristallise de fortes tensions : « Des gens ne se parlent plus dans les villages, on en est là », regrette Michel Cogoluègnes, qui note que, pro ou anti, tous les habitants subiront les conséquences de l’implantation des éoliennes. Et selon lui, la situation n’est pas sur le point de s’améliorer car les promoteurs pratiquent la politique du pied dans la porte : les éoliennes installées servent d’argument pour agrandir les zones d’implantation, on parle alors d’« extension » du parc existant. La hantise des militants lozériens, c’est que le scénario aveyronnais se duplique. Dans ce grand département voisin, une centaine d’éoliennes ont été installées et les projets en cours prévoient l’arrivée de 250 aérogénérateurs.
Source : Aurélie Delmas pour Reporterre
Photos : © Aurélie Delmas/Reporterre
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