Grand entretien
Jean-Marc
Jancovici : "Fermer une centrale nucléaire au nom du climat :
l'imposture du gouvernement"
Publié le 03/03/2020 à 08:07
Le gouvernement procède actuellement à la fermeture de la
centrale nucléaire de Fessenheim. L'argument invoqué ? L'écologie.
Comment ? En réduisant la part du nucléaire dans notre production
d’électricité. Une "imposture" pour Jean-Marc
Jancovici, qui explique pourquoi l'énergie nucléaire est la plus
sûre et la plus respectueuse de l'environnement.
Jean-Marc Jancovici est polytechnicien,
associé co-fondateur de Carbone
4, cabinet de conseil spécialisé dans la
transition vers une économie décarbonée et l’adaptation au
changement climatique, fondateur et président de The
Shift Project, "think
tank de la décarbonation de l’économie",
professeur à Mines ParisTech, membre du Haut Conseil pour le climat,
et auteur de sept livres de vulgarisation sur l’énergie et le
climat.
Marianne :
Le premier réacteur de la centrale nucléaire de Fessenheim a été
arrêté dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 février dernier.
Était-ce, selon vous, nécessaire ? Une bonne mesure pour l'écologie
?
Jean-Marc Jancovici
: Si l'on considère qu’une bonne mesure pour l'écologie
est une mesure qui permet de faire baisser la pression humaine sur
son environnement, alors cette décision n’est pas écologique, en
ce sens qu’elle n’est pas globalement favorable à
l'environnement. Car le nucléaire – contrairement à la tonalité
générale qui a, je suis désolé de le dire, largement été
véhiculée par vos confrères de façon infondée, et qui permet de
parler dans cette affaire de "faillite médiatique" – est
une modalité de production de l'électricité qui est, sur à peu
près tous les critères factuels, plus respectueuse que toutes les
autres modalités concurrentes. Prenons ces critères un par un.
Autant d'énergie est libérée par la fission d'un gramme
d'uranium que par la combustion d'une tonne de pétrole
Sur le premier critère – le plus évident – qu'est celui du
climat : le nucléaire est un mode de production qui rejette
extrêmement peu de Co2 par kWh. La réaction nucléaire elle-même
ne rejette pas de Co2. Elle consiste à casser en deux le noyau d'un
métal qui s'appelle l'uranium, en lui donnant une "indigestion"
avec un neutron : dans un réacteur, on fait absorber un neutron à
un noyau d'uranium, et ce dernier a une "indigestion" –
il devient instable –, ce qui le conduit à se casser en deux. Ce
fractionnement en deux noyaux, qui s'appellent les "produits de
fission" (et dont une partie deviendra les "déchets
nucléaires"), libère une quantité d'énergie absolument
considérable. A masse égale, cela libère un million de fois plus
d'énergie que la combustion : autant d'énergie est libérée par la
fission d'un gramme d'uranium que par la combustion d'une tonne de
pétrole.
Comme la fission libère énormément d'énergie par unité de
masse, on peut obtenir beaucoup d'énergie nucléaire avec de très
petites quantités de matière. Certes il faut des engins de mine
pour extraire le minerai, du béton pour la centrale, et de l’énergie
pour enrichir l’uranium ou traiter les déchets, mais comme tout
cela s’applique à des très petits poids, à l’arrivée les
quantités de Co2 engendrées (sur toute la chaine) par kWh
électrique sont très basses. A nouveau, c’est ce rapport de un à
un million entre la fusion et la combustion qui explique cette
"vertu" du nucléaire sur le plan CO2.
Pourtant, une majorité de Français pense que le nucléaire
contribue grandement au réchauffement climatique. D’où peut venir
cette méprise ? Peut-être de l'image d'Epinal que constitue la
centrale nucléaire avec un panache de vapeur au-dessus d'une tour de
réfrigération. Sauf que les tours de réfrigération n’émettent
que… de la vapeur d'eau, ce qui ne contribue en rien aux émissions
de gaz à effet de serre d'origine humaine. Notre planète, couverte
aux deux tiers d'océans, est une énorme machine à évaporer devant
laquelle la vapeur de nos centrales nucléaires est totalement
négligeable.
Il y a un facteur 150 entre les centrales nucléaires et les
centrales à charbon en termes d’émissions par kWh. Si l’on
parle climat, le nucléaire bat tout le reste.
Si l'image d'une centrale nucléaire classiquement montrée à la
télévision ou dans le journal n'était pas une centrale en bord de
rivière, mais en bord de mer, on ne verrait pas de tours de
réfrigération, qui ne sont alors pas nécessaires parce que la mer
sert de source froide. Ces tours ne sont pas le propre du nucléaire,
mais de toute centrale thermique en bord de rivière, qu’elle soit
à charbon, à gaz ou nucléaire.
En termes de chiffres, la base carbone de l'Ademe (Agence de
l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) – organisme qui
n’a pas pour mandat de dire du bien du nucléaire, c’est le moins
que l’on puisse dire ! – nous dit que le Co2 engendré par le
nucléaire est de 6 grammes par kWh électrique. Cette valeur est de
10 grammes pour l'éolien (pour la construction et l’installation
de l’éolienne), et de 50 grammes pour le photovoltaïque (ce qui
correspond à la fabrication du panneau, et de son environnement
électrique, car là aussi il faut de la mine, de la métallurgie, de
la chimie, etc.).
Si l’électricité doit être stockée sur batterie, il faut
fabriquer cette dernière, et c’est beaucoup de métallurgie et de
chimie : cela émet de 50 à 200 grammes par kWh stocké et restitué.
Avec une centrale à gaz, on rentre dans des installations où il
y a sur site de la combustion de combustibles fossiles. Un kWh de
centrale électrique à gaz correspond à 400 grammes de Co2, dans
une centrale moderne, sans tenir compte des fuites de méthane liées
à l'extraction et à la distribution du gaz. Ces fuites sont
d'ailleurs probablement sous-estimées.
En utilisant du solaire, il faut environ 500 fois l'espace du
nucléaire pour produire la même quantité d'électricité à la fin
de l'année. La production annuelle de la seule centrale de
Fessenheim était quasiment équivalente à l'ensemble de la
production des panneaux photovoltaïques en France (environ 2% de la
production française).
Les émissions passent à 800 grammes de CO2 par kWh pour une
centrale à charbon moderne, et 1.000 pour une centrale moyenne du
parc installé. Il y a donc un facteur 150 entre les centrales
nucléaires et les centrales à charbon en termes d’émissions par
kWh. Si l’on parle climat, le nucléaire bat tout le reste.
Quid du deuxième critère pour juger le nucléaire, celui
de l'espace occupé au sol ? Les opposants au nucléaire invoquent
l'énergie solaire, mais peut-on la comparer au nucléaire ?
Prenons désormais ce critère de l'espace occupé au sol. Pour
celui-ci aussi, le nucléaire, grâce à sa très grande
concentration énergétique, bat tous les autres modèles
énergétiques. J'ai fait un rapide calcul : en utilisant du solaire,
il faut environ 500 fois l'espace du nucléaire pour produire la même
quantité d'électricité à la fin de l'année. Et ce multiple ne
tient pas compte du fait qu'avec le solaire, il faudrait en stocker
une partie, avec des pertes au moment du stockage. Du coup, il faut
encore augmenter la surface (de 20 et 40%) pour produire
l’électricité qui sera perdue au moment du stockage. En France,
il y a même des parcs solaires au sol qui ont conduit à de la
déforestation pour être installés ! La production annuelle de la
seule centrale de Fessenheim était quasiment équivalente à
l'ensemble de la production des panneaux photovoltaïques en France
(environ 2% de la production française).
Le critère de l'espace au sol conditionne d'ailleurs le respect
de la biodiversité, puisque la préservation de celle-ci est
essentiellement une préservation des habitats. La nuisance apportée
aux espèces est donc pour partie proportionnelle à l'espace dont
nous avons besoin au sol pour un usage donné. De ce point de vue, le
nucléaire est, aussi, l'énergie la plus respectueuse de la
biodiversité.
Et ce n’est pas parce qu’une énergie est renouvelable que le
dispositif qui permet de l’exploiter – qui lui n’est jamais
renouvelable – est sans impact sur l’environnement. Une
thèse
récente montre par exemple que les éoliennes ont une fonction
de répulsion pour les chauves-souris, qui ne fréquentent plus
autant – voire plus du tout – l’environnement situé à moins
d'un kilomètre d’une éolienne. Autre exemple : les éoliennes
nécessitent des plots en béton enterrés, mais très près de la
surface. Cela revient à mettre des rochers dans le sol… ce qui
n'est pas idéal pour faire pousser des plantes dessus ensuite !
En termes de matériaux, le nucléaire nécessite, selon ce que
l'on considère (ciment, cuivre, acier, etc), jusqu'à une centaine
de fois moins de quantités par kWh produit que le solaire et
l'éolien. Le cout inférieur par kWh des modes diffus (éolien,
solaire) est d’une part le résultat d’un service qui n’est que
partiel comparé aux modes pilotables, et d’autre part une
situation nécessairement transitoire au regard des matériaux
nécessaires.
Pour commencer, un mode non pilotable (éolien ou solaire) ne rend
pas le même service qu’un mode pilotable. Dans le premier cas de
figure, votre frigo et votre ascenseur fonctionnent uniquement quand
il y a assez de vent ou de soleil, alors qu’avec un mode pilotable
ces appareils – et tous les autres – fonctionnent quand vous le
souhaitez. Comme le service rendu n’est pas le même, comparer les
coûts en sortie de dispositif de production revient à comparer des
choux et des carottes. Il faudrait rajouter tous les coûts système
(réseau, stockage, ajustement de la fréquence) pour les modes non
pilotables, ce qui change un peu les chiffres !
En termes de matériaux, le nucléaire nécessite, selon ce que
l'on considère (ciment, cuivre, acier, etc), jusqu'à une centaine
de fois moins de quantités par kWh produit que le solaire et
l'éolien.
D’autre part, un mode qui utilise de dix à cent fois plus
d’espace et de matériaux qu’un autre ne peut "coûter moins
cher" que dans un monde où l’économie est totalement
déconnectée de la physique, et cela ne va pas durer !
Prenons maintenant l'argument de la "dangerosité du
nucléaire", notamment invoqué via le spectre des catastrophes
nucléaire et des déchets nucléaires, qui semblent apeurer
certains. Qu'en est-il réellement ?
Pour cela, commençons par comparer le nucléaire à
l'hydro-électricité, énergie renouvelable. Il faut noyer des
surfaces parfois impressionnantes pour créer le lac de retenue. Par
exemple le lac du barrage de Guri, au Venezuela, a une superficie de
4.500 km2 (autant qu'un département français) pour une puissance de
6 EPR, qui demanderaient 2.000 à 3.000 fois moins de place pour la
même puissance. L'hydro-électricité est par ailleurs beaucoup plus
meurtrière que le nucléaire. Selon
l'ONU,
l'accident nucléaire le plus meurtrier de l'histoire est celui de
Tchernobyl. Il y a eu quelques dizaines de morts au moment de
l'accident, il y a quelques centaines de cas de décès prématurés
chez les enfants qui ont développé un cancer à la thyroïde, et
enfin, il y a les morts prématurées dus à l'évacuation, qui
résultent du stress qui augmente les comportements à risque de type
alcool ou tabac (les chiffres sont difficiles à trouver, disons
quelques milliers en ordre de grandeur). En face, l'accident de
barrage le plus meurtrier au monde a fait quant à lui de 20.000 à
100.000 morts, en Chine dans les années soixante-dix. En Europe, la
rupture du barrage de Vajont-Longarone (Italie), survenue en 1963, a
provoqué 2.000 morts et détruit de nombreux villages
dans
la vallée à l’aval. Et l’évacuation pour le barrage des
Trois Gorges, parfaitement renouvelable, a concerné un million de
personnes, six fois plus qu’à Tchernobyl !
La totalité des déchets vraiment dangereux que le parc nucléaire
français a produit depuis le début de son fonctionnement tient dans
une piscine à La Hague.
Prenons ensuite le critère des déchets : le nucléaire en
produit, comme toutes les formes d’énergie (il n’existe pas
d’énergie sans déchets), mais, comme on a utilisé de toutes
petites quantités de matière pour alimenter les centrales, à
l’arrivée les quantités de déchets sont réduites. Ils sont
dangereux, certes, mais en toute petite quantité. La totalité des
déchets vraiment dangereux que le parc nucléaire français a
produit depuis le début de son fonctionnement tient dans une piscine
à La Hague. Ce sont assurément des cochonneries, mais elles sont
gérées, alors que les "cochonneries" des modes fossiles
sont dispersées dans l’atmosphère, et pour les renouvelables
"modernes" (éolien et solaire) la multiplication des mines
et l’industrie en amont engendrent aussi des déchets.
Ces déchets nucléaires de haute activité seront bien mieux sous
terre, ce qui est le projet français, plutôt que de les laisser en
surface. En les enterrant profond, nous ne ferions qu’imiter la
nature : le plus vieux stockage géologique de déchets nucléaires
au monde date d'il y a deux milliards d'années ! Il s'est créé
spontanément (il y a deux milliards d’années il n’y avait pas
beaucoup d’hommes) dans un gisement d'uranium à Oklo, au Gabon,
suite à la mise en route d’un réacteur nucléaire naturel, qui a
existé parce que se sont spontanément créées, à l’époque, les
mêmes conditions que celles que l’on trouve aujourd’hui dans un
réacteur industriel.
Il y a deux milliards d’années, l’uranium naturel comportait
3,5% d’uranium 235, comme celui qu'on enfourne aujourd’hui dans
nos réacteurs (une partie de cet uranium 235 a disparu depuis, par
radioactivité naturelle, et la teneur actuelle de l’uranium
naturel en uranium 235 n’est plus que de 0,7%, raison pour laquelle
il faut augmenter cette proportion avant usage, ce qui s’appelle
l’enrichissement).
Pour avoir une réaction nucléaire, il faut entre autres entourer
cet uranium 235 d'un "ralentisseur à neutrons", parce que
les neutrons émis par une fission sont beaucoup trop rapides pour
être capturés par un autre noyau d'uranium 235, et il est alors
impossible de démarrer une réaction en chaine. Mais avec un
"ralentisseur" approprié, qui dans les réacteurs français
est l’eau qui sert aussi à évacuer la chaleur, peut alors
démarrer une réaction en chaîne, parce que chaque fission donne un
neutron qui sera ralenti avant d’aller fissionner un autre atome
d’uranium 235.
A Oklo, à cause d’infiltrations d’eau dans le gisement
d’uranium, s’est donc créé le cocktail "uranium enrichi +
eau," qui a permis de mettre en route – parfaitement
naturellement – une réaction nucléaire "normale", qui a
duré pendant un million d'années. Elle a alors créé les mêmes
"déchets" nucléaires que ceux qui apparaissent dans nos
réacteurs. Ces déchets ont bien évidemment été laissés en plan
là où ils se sont formés, par la force des choses ! Eh bien, deux
milliards d’années après leur apparition, les descendants stables
de ces déchets sont restés au même endroit.
Les déchets nucléaires sont donc un tout petit problème, au
surplus gérable, dans la grande collection de nuisances à laquelle
nous devons désormais faire face. Ces déchets ne vont pas nous
jaillir à la figure depuis le sous-sol, comme Zébulon sortant de sa
boîte !
Le stockage géologique des déchets nucléaires peut donc durer
considérablement plus longtemps que les 100.000 ans qui effraient
tout le monde parce que c’est très long comparé à une vie
humaine. Mais ce qu’il faut surtout savoir, c’est que c’est
très court pour les temps géologiques. Le confinement du pétrole –
qui est liquide, alors que nos déchets nucléaires sont solides –
dans le sous-sol peut durer des dizaines de millions d’années !
Nous avons donc de toutes petites quantités de déchets que nous
pouvons mettre dans un endroit qui sera stable bien au-delà de la
fin de l’espèce humaine (qui ne va pas durer 100.000 ans de toute
façon…). Les déchets nucléaires sont donc un tout petit
problème, au surplus gérable, dans la grande collection de
nuisances à laquelle nous devons désormais faire face.
Vous sous-entendez qu'il y a une part d'irrationalité
dans la position anti-nucléaire ?
Il y a assurément beaucoup de personnes opposées au nucléaire
qui mettent en avant des arguments techniques qui ne sont pas fondés,
ou qui ne sont pas mis en perspective. Mais beaucoup d’entre nous
ont ce même mode de fonctionnement pour d’autres sujets : d’abord
on aime ou on n’aime pas, sur la base de on-dit ou d’impressions
fondées sur des éléments partiels, et on ne change pas d’avis
quand on dispose de tous les éléments, même si ces derniers
invalident notre impression première. Cela n’est jamais facile de
changer d’avis, surtout si cet avis a été exprimé de manière
très passionnée !
Si nous en revenons aux "100.000 ans", dit comme cela
c’est évident que ça fait peur, à cause du multiple
impressionnant par rapport à une vie humaine. Mais nous devrions
avoir bien plus peur de la dérive climatique que nous sommes en
train de mettre en place, qui va perdurer plus de 10.000 ans, et qui
concerne et concernera tout le monde, contrairement aux déchets
nucléaires qui ne tueront personne une fois sous terre (et qui ne
risquent pas de tuer plus de monde que les chutes à domicile – des
milliers de morts par an dans ce pays – avant ça). Ces déchets ne
vont pas nous jaillir à la figure depuis le sous-sol, comme Zébulon
sortant de sa boîte !
Ce sont les médecins qui le disent : l'énergie nucléaire est,
de fait, la plus sûre pour les hommes, et la plus respectueuse de
l'environnement, dans tous les modes de production électrique
A nouveau, ces déchets sont dangereux, mais ils sont en petite
quantité et bien confinés. Les autres modes de production
électrique fournissent des déchets en beaucoup plus grande
quantité, et non confinés. La palme revient aux combustibles
solides : une centrale à charbon de même puissance que celle de
Fessenheim enfournerait de 20.000 à 30.000 tonnes de charbon
par
jour, et produirait de 4.000 à 8.000 tonnes de cendres
par
jour. La totalité des déchets nucléaires de haute activité
déjà produits par toutes les centrales du parc français – en
quelques décennies – s’élève à quelques milliers de tonnes :
la différence d'ordre de grandeur est saisissante. Et ces cendres
sont traitées dans des bassins à l'air libre. L'utilisation de
centrales à charbon diffuse une quantité de particules fines très
élevée, qui suppriment de l’espérance de vie pour la population
dans son ensemble, contrairement aux déchets nucléaires.
Ce sont les médecins qui le disent : l'énergie nucléaire est,
de fait, la plus sûre pour les hommes, et la plus respectueuse de
l'environnement, dans tous les modes de production électrique. La
bonne question est donc de se demander pourquoi il y a un tel hiatus
entre ce que nous disent les faits et la perception qu'en a
l'opinion.
Dans ce cas, quelle est la réponse ?
Malheureusement, la réponse inclut pour une large part le
fonctionnement de la presse. Si cette dernière avait pour première
règle de ne pas diffuser d’opinions qui soient en porte à faux
avec les faits, et pour premier but de faire la pédagogie de ces
derniers, probablement que l'imaginaire collectif ne se structurerait
pas de la même manière.
Pour cela il faudrait qu’elle ait la même exigence de charge de
la preuve quand il s’agit d’environnement que quand il s’agit
de n’importe quoi d’autre. Cela vaut pour les climatosceptiques
comme pour les arguments erronés sur le nucléaire.
Qu'avez-vous à répondre aux arguments invoqués par les
anti-nucléaires, et notamment les membres du gouvernement dont
Emmanuelle Wargon ? Fessenheim serait située en zone sismique,
vulnérable aux inondations, aux actes de malveillance aérienne,
fragilisée par des microfissures dans la cuve…
Il y a en France une entité qui a précisément le mandat
d'évaluer ce genre de risques, et s'ils sont correctement appréciés
et gérés, ou pas. Cette entité s'appelle l'Autorité de sûreté
nucléaire (ASN). Son rôle est d’inspecter les centrales, ainsi
que les installations de l’ensemble du cycle nucléaire, et de
délivrer, ou non des autorisations de fonctionnement. En
l'occurrence, l'ASN a dit que Fessenheim n'avait pas de raison
technique d'être retirée du service. Donc les gens qui invoquent
des arguments techniques : microfissures (évidement examinées par
l'ASN), vétusté (évidement examinée par l'ASN), zone sismique
(évidement examinée par l'ASN), sont des gens qui considèrent
qu’ils sont plus compétents que l’ASN.
De deux choses l'une, à partir de là : soit Fessenheim est
réellement dangereuse, l’ASN ne l’a pas vu, et il faut alors
dissoudre une instance qui est incapable de bien tenir compte des
risques, en licenciant tout le monde pour incompétence.
Pour prendre le cas de Madame Wargon, je ne vois rien dans son
parcours qui pourrait laisser penser qu’elle a eu suffisamment
l’occasion de se familiariser avec la sismique et les réacteurs
pour avoir un avis techniquement autorisé sur la question…
Soit l’ASN fait correctement son métier, et alors les gens qui
présentent comme valides des arguments qui ne sont pas retenus par
l’ASN sont des imposteurs, en faisant croire qu’ils peuvent
s’appuyer sur une argumentation technique qui est en fait invalide.
Evidement, je penche plutôt pour la deuxième solution : ces
arguments sont des tentatives pour justifier des motivations qui sont
tout autres. Pour prendre précisément le cas de Madame Wargon, je
ne vois rien dans son parcours qui pourrait laisser penser qu’elle
a eu suffisamment l’occasion de se familiariser avec la question
sismique et les réacteurs pour avoir un avis techniquement autorisé
sur la question…
En France, un grand argument consiste à décréter
qu'après quarante ans, ce type de centrale est hors d'état de
fonctionner…
Cette notion de durée de fonctionnement "normative" ne
correspond pas à ce qui se passe en pratique. Cette durée est
indicative et sert essentiellement sur le plan comptable pour
l'amortissement des centrales. La réalité, c'est que lorsque vous
mettez une centrale en service, l’autorisation de fonctionnement,
délivrée par l’ASN, n’est valable que pour dix ans. Au bout de
dix ans, l'ASN passe pour une "visite décennale", à
l’issue de laquelle elle renouvelle ou pas son autorisation pour
dix ans, assortie éventuellement de travaux à effectuer pour
pouvoir continuer l’exploitation. Et cela recommence, tous les dix
ans. Rien nulle part ne dit que la centrale doit s'arrêter de
fonctionner au bout de quarante ans. A quarante ans, il y a une
visite décennale, comme avant, et ensuite l’ASN dit si oui ou non
vous pouvez continuer à exploiter le réacteur, et à quelles
conditions (après Fukushima elle a par exemple posé des conditions
supplémentaires qui n’existaient pas avant).
On peut très bien être président, ministre ou secrétaire
d'Etat et être imposteur ; sur Fessenheim la série est longue et
Madame Wargon n’est que la dernière en date.
Aux Etats-Unis, la quasi totalité des réacteurs en
fonctionnement – qui sont du même type que nos réacteurs
français, dits à eau pressurisée – ont été autorisés pour 60
ans, et certains exploitants ont commencé à constituer des dossiers
pour pouvoir fonctionner 80 ans.
Cet argument a pourtant été invoqué pour Fessenheim…
En effet. Certains de vos confrères, du
site Contexte, ont d'ailleurs été regarder en détails la base
d'incident de l'IRSN, en constatant qu'il n'y avait pas de
corrélation entre l'âge des réacteurs et le nombre d'incidents
relevés dans l’année sur un réacteur. Donc l'argument "à
quarante ans il faut impérativement tout arrêter" n'est
malheureusement pas fondé. Il faut examiner chaque situation au cas
par cas, et, à nouveau, c’est le travail de l’ASN. Je le répète
: quand les militants d'ONG ou les politiques invoquent l’âge
comme argument d’autorité sans mettre en cause la compétence de
l’ASN, c’est une imposture. On peut très bien être président,
ministre ou secrétaire d’État et être imposteur ; sur Fessenheim
la série est longue et Madame Wargon n’est que la dernière en
date.
L'autre argument du gouvernement consiste à expliquer
qu'il faut réduire à 50% la part du nucléaire dans notre
production d'électricité. A quoi cela tient-il ?
Si vous trouvez la raison technique de ces 50%, et pourquoi cela
n’est pas 67%, 78% ou 42%, je vous offre une caisse de champagne !
J'essayerai de trouver mais…
Mais vous ne trouverez pas ! Et si vous pariez c'est moi qui
gagnerai la caisse. Plus sérieusement, la raison pour laquelle vous
ne trouverez rien de technique tient au fait que ce chiffre est sorti
du chapeau de François Hollande pendant la campagne de 2012, lequel
Hollande avait besoin de séduire les électeurs Verts, dont l’un
des points historiques d'accord concerne l’opposition au nucléaire
(il n’est pas impossible que la situation soit un tout petit peu
plus nuancée aujourd’hui). Hollande a donc promis une "sucette"
assez cohérente avec cette tactique, qui était la baisse du
nucléaire.
Pourquoi 50%, et pas 52% ? Est-ce aléatoire ?
C'est la magie des chiffres ronds. A partir du moment où le
nucléaire est un ennemi à abattre, il faut bien se donner des
objectifs, et quand il y a un objectif, qu’il soit pertinent ou
pas, il est toujours incarné dans des chiffres ronds. C’est par
exemple l’objectif des "trois fois 20 en 2020" (moins 20%
sur les émissions de CO2, 20% d’ENR, et 20% d’amélioration de
l’efficacité énergétique) que l’Europe avait adopté en 2008.
Les chiffres ronds se retiennent facilement, donc ils sont toujours
très présents dans les discours.
Une baisse délibérée du nucléaire, aujourd’hui, par mise à
l’arrêt de réacteurs en état de marche, ou, plus tard, en ne les
renouvelant pas par des modèles plus récents correspond globalement
à une augmentation des risques que nous prenons pour l’avenir, et
non à une baisse
La bonne question n’est en fait pas de savoir si 50% est mieux
qu’un autre chiffre plus bas que l’actuel, mais plus
fondamentalement s’il faut baisser la place du nucléaire dans la
production électrique ou pas. Ma réponse est non. Une baisse
délibérée du nucléaire, aujourd’hui, par mise à l’arrêt de
réacteurs en état de marche, ou, plus tard, en ne les renouvelant
pas par des modèles plus récents (qui ne doivent pas nécessairement
être des EPR, mais cela est un autre débat), correspond globalement
à une augmentation des risques que nous prenons pour l’avenir, et
non à une baisse.
Mais ne faut-il pas diversifier la production électrique,
comme l'explique le gouvernement ?
"Diversifier" en tant que fin en soi, ne vous dit pas si
à l’arrivée c’est mieux ou moins bien. Admettons que je dise à
vos lecteurs qui ont deux jambes que je vais couper l’une des deux
pour la remplacer par une prothèse. J'aurais incontestablement
"diversifié" leurs appuis. Pour autant, vont-ils tous
considérer que cela constitue à l’évidence une chose à faire ?
J'utilise volontairement cet exemple extrême pour montrer que "la
diversification" n’est pas non plus un argument d'autorité.
Une diversification n’est bénéfique que si on remplace la partie
supprimée par quelque chose de mieux, ce qui doit être établi au
préalable. Cela renvoie donc à la première partie de cet
entretien, sur les avantages et inconvénients respectifs du
nucléaire et des autres modes de production de l’électricité,
quelle que soit la production annuelle soit dit en passant (on peut
très bien faire de féroces économies d’électricité et rester
au nucléaire pour ce qui est toujours produit, le raisonnement reste
le même).
Le seul argument que je reçois est celui de la diversité au sein
des réacteurs. Si à l’avenir il y a un problème générique et
que nous n’avons qu’un seul modèle de réacteur (ce qui en
l’occurrence n’est déjà pas le cas), nous avons un vrai
problème. Mais la solution est de diversifier les réacteurs (ce qui
augmente un peu leur coût), mais ce n'est pas pour autant qu'il faut
baisser la part du nucléaire. Si le nucléaire est le meilleur mode
de production de l’électricité que nous avons à notre
disposition, il n'y a aucun intérêt à faire baisser sa part au
profit de quelque chose de moins bien.
Sommes-nous entrés dans le règne de la communication
plutôt que celui de l'expertise ?
Nous sommes dans le règne de l'émotion, qui a souvent le pas sur
l'expertise et la raison, mais… cela ne date pas d’hier ! Déjà
il y a quasiment deux siècles Tocqueville expliquait que cela était
lié au fonctionnement des démocraties, quel que soit le sujet. A
une époque on brûlait les sorcières pour améliorer le sort de la
société ; je ne suis pas convaincu que l’analyse des faits
montrait, même alors, que cela avait le moindre effet positif ! Mais
les actes de foi soudent les communautés, nous sommes faits ainsi.
L’important est de le savoir et de savoir s’en rendre compte.
A part faire des grands discours sur le "défi climatique",
Macron n'a pas mieux compris les réels enjeux que ses prédécesseurs,
et notamment que l'énergie est le sang de la société moderne.
Cette fermeture interpelle puisqu'Emmanuel Macron a
expliqué que le nucléaire était "une
chance pour la France", mais procède à la
fermeture de Fessenheim. Quelle est sa position ?
Si j’avais à formuler une hypothèse, je dirais que Macron n'a
pas compris que ces 50% allaient lui coller au doigt comme le
sparadrap du capitaine Haddock, et allaient le conduire à être vu
comme totalement incohérent aux yeux d’une partie non négligeable
des "écologistes gestionnaires" (que politiquement on
pourrait mettre au centre, pour faire simple). A part faire des
grands discours sur le "défi climatique", il n'a pas mieux
compris les réels enjeux que ses prédécesseurs, et notamment que
l'énergie est le sang de la société moderne. Il n’a pas vu alors
(et je ne pense pas que ce soit le cas aujourd’hui) que d’arbitrer
le conflit d’objectif permanent qu’il y a entre économie et
climat allait lui demander plus que des slogans et quelques victimes
expiatoires.
Que pensez-vous de sa politique écologique ?
Elle est essentiellement ponctuelle et gentiment clientéliste,
comme la quasi-totalité des politiques écologiques l'ont été
jusque maintenant. Il n'est pas très différent d'Hollande ou de
Chirac…
Affirmer que de supprimer un réacteur nucléaire contribue à
l’économie bas carbone est un mensonge, et le faire sur le site
officiel du gouvernement est donc un mensonge d’Etat : peut-on
gloser sur Trump qui fait pareil, mais dans un autre domaine ?
Mais il a l'adversaire idéal : le méchant Trump…
Dans les faits, nous ne sommes pas si éloignés que cela de
Donald Trump ! Lui raconte des contre-vérités scientifiques sur le
climat, chez nous c’est sur le nucléaire. Le
site
du gouvernement explique noir sur blanc que fermer Fessenheim
"
vise à faire du Haut-Rhin un territoire de référence à
l’échelle européenne en matière d’économie bas carbone."
Affirmer que de supprimer un réacteur nucléaire contribue à
l’économie bas carbone est un mensonge, et le faire sur le site
officiel du gouvernement est donc un mensonge d’Etat : peut-on
gloser sur Trump qui fait pareil, mais dans un autre domaine ?
Ensuite, tous les membres du gouvernement sont évidemment tenus
d’être solidaires. C’est Elisabeth Borne, qui présente dans
Le
Monde le fait de fermer Fessenheim comme une conséquence
logique de notre souhait de "décarboner l'économie". Et
c’était déjà Edouard Philippe qui s’excusait presque d’avoir
travaillé chez Areva dans un discours de politique générale…
Y a-t-il un autre positionnement possible ?
Dire la vérité consisterait à dire que le nucléaire n'émet
pas de Co2, mais que le gouvernement souhaite quand même fermer des
installations nucléaires en état de marche pour avoir le soutien
d’une partie des électeurs Verts aux prochaines échéances
électorales. Fermer Fessenheim est aussi parti d’une envie de
créer un rapport de force défavorable à EDF souhaité par ce même
électorat, et pas du tout d’une analyse technique de la situation.
Quand il était délégué interministériel à la fermeture de
Fessenheim, Monsieur Francis Rol-Tanguy m'a dit très exactement
ceci, à l’occasion d’une entrevue que nous avons eue pour
discuter de la situation : "
La raison pour laquelle on ferme
Fessenheim, c'est pour montrer à EDF qui est le chef". La
phrase m’a tellement marquée que je m’en souviens encore. En
bref, il s’agit d’aller piétiner le château de sable du copain
pour lui montrer qui commande.
La raison pour laquelle on ferme Fessenheim, c'est pour
montrer à EDF qui est le chef.
Francis Rol-Tanguy Ancien délégué interministériel à
la fermeture de Fessenheim
Pourrait-on alors être pour le nucléaire au titre de
l’environnement ?
Si "agir pour l’environnement" consiste à arbitrer
pour minimiser la déstabilisation environnementale, le nucléaire
est une option à favoriser, car il moins risqué que ses modes
concurrents. Tout recours au nucléaire qui permet d'éviter des
rejets de Co2 contribue à abaisser le risque global pour les gens
qui doivent encore vivre sur cette planète.
Il faut donc voir le nucléaire comme un parachute ventral : il ne
permettra pas d'éviter les efforts colossaux que nous allons devoir
faire dans de nombreux domaines (mobilité, alimentation,
consommation de produits manufacturés, etc), mais il permet de
garder un peu plus de "confort moderne" dans un monde qui
va devoir en abandonner une très large partie.
Incidemment, les figures les plus médiatiques des mouvements
écologistes n’insistent pas souvent sur le fait que de baisser
rapidement les émissions de Co2 va essentiellement consister à
perdre du pouvoir d’achat, et que le nucléaire permet de le
baisser moins rapidement que les énergies renouvelables électriques
"modernes".
Sans nucléaire pour amortir le choc de la baisse des fossiles, la
contraction économique sera plus rapide
Le sujet ici n’est pas le prix de l’électricité, mais la
quantité. Si, à investissements donnés, et en tenant compte de
toutes les fonctions qu’un système électrique doit fournir
(garantie de puissance ou stockage, ajustement en fréquence, en
tension, etc), on produit beaucoup moins d’électricité avec de
l’éolien ou du solaire avec stockage et réseau qu’avec du
nucléaire, alors cela signifie qu’à l’aval nous mettons en
route moins "d’esclaves mécaniques" qui travaillent pour
nous, et donc la production économique baisse, ce qui fait que ce
que l’on peut consommer – notre pouvoir d’achat – baisse
aussi. Sans nucléaire pour amortir le choc de la baisse des
fossiles, la contraction économique sera plus rapide.
Si c’est cela le contrat social souhaité, et que tout le monde
l’a bien compris, je n’ai rien à redire ! Mais si le corps
social préfère conserver un peu plus d’usines, de lave-linge et
de confort thermique dans un monde qui va de toute façon en perdre
une bonne partie à long terme, alors le nucléaire est difficilement
évitable.
Les responsables politiques n’ayant pas compris que l’énergie
en volume est le facteur limitant de l’économie, ils restent quant
à eux à une vision caricaturale, en pensant (probablement
sincèrement pour beaucoup, ce qui est le problème) qu'on peut
continuer à augmenter le PIB tout en diminuant l’essentiel de la
pression écologique et donc l’essentiel de la consommation
d’énergie. Cela relève soit de l’incompréhension du
fonctionnement physique du système économique, soit d’un manque
de courage.
A quantité d’électricité donnée, en diminuant la part du
charbon et du gaz, on abaisse le risque global pour l’avenir,
tandis que lorsqu'on abaisse la part de nucléaire, on l’augmente
plutôt.
N'y a-t-il pas aussi une part de diplomatie vis-à-vis de
l'Allemagne notamment ?
Il est évident que le fait que la première puissance économique
européenne, et par ailleurs le pays reconnu par la France comme
étant son interlocuteur premier dans l’attelage européen, ait une
politique énergétique résolument antinucléaire pousse notre pays
à aller dans le même sens. Malheureusement, à bien y regarder, nos
amis du nord sont pour l’heure les meilleurs ennemis du climat que
nous ayons en Europe ! Ils fabriquent des grosses voitures, veulent
conserver leur industrie lourde (très émettrice de CO2), donnent la
priorité au charbon sur le nucléaire dans l’électricité (et à
long terme veulent recourir au gaz russe, ce qui ne permet pas de
décarboner la production électrique), et aiment beaucoup
l’agriculture intensive…
Lire aussi
Fessenheim,
centrale "écolo", mais sacrifiée
La conclusion est que l’Europe du climat ne se fera pas en se
mettant dans le sillage des Allemands, et sûrement pas sur le plan
de la production électrique. La fermeture de Fessenheim va
probablement nous obliger à garder plus longtemps nos centrales à
charbon, exactement sur le modèle allemand. La démagogie politique
y gagne peut-être, mais le climat surement pas.
Pourquoi les Allemands ont-ils une telle hantise du
nucléaire ?
Sans avoir de certitude sur la question, deux éléments de
réponse me viennent à l'esprit : la présence des fusées Pershing
sur leur sol, qui était un douloureux souvenir de la défaite de
1945, puis le fait que le nucléaire civil est une énergie fédérale,
ce qui est un élément de faiblesse dans un pays où c’est
l’échelon régional qui est le plus apprécié.
Il faut rappeler par ailleurs que les mouvements anti-nucléaires
ont été contre le nucléaire militaire avant toute chose (c’est
par exemple le cas de Greenpeace). Un argument, que je ne suis pas en
mesure de vérifier mais qui correspond à une logique certaine, veut
que les mouvements antinucléaires pacifistes ouest-allemands aient
été largement soutenus par le bloc soviétique, qui voyait là un
moyen d’affaiblir le bloc d’en face en créant des dissensions en
son sein. Plus tard, les Français ont peut-être aussi joué un rôle
négatif en refusant à Siemens d’entrer au capital d’Areva.
Quand il s’agit d’évoquer les entités opposées au nucléaire
civil, il vaudrait mieux utiliser le terme "des antinucléaires"
plutôt que "les écologistes" ; ce serait nettement plus
précis – donc exact
Un dernier élément joue peut-être aujourd’hui dans ce pays,
au sein des milieux économiques : dire du bien du nucléaire, c’est
dire du mal du charbon, donc légitimer une contrainte croissante sur
la production électrique concernée, et donc renchérir le prix de
l’électricité pour les industriels allemands (alors que le
développement des ENR se fait hors marché, par des taxes qui ne
concernent pas les gros industriels). A l’inverse, dire du mal du
nucléaire permet de planter quelques banderilles dans l’électricité
pas chère du concurrent du sud, ce qui est toujours bon à prendre…
Incidemment, les militants anti-nucléaires d’hier, focalisés
sur le militaire et notamment l’interdiction des essais
atmosphériques, ont complètement changé de combat en se tournant
vers le nucléaire civil, pourtant bien moins "violent",
par nature même, que le nucléaire militaire qui est toujours là...
D'où vient cette imposture des "écolos officiels"
?
Le terme "écolos officiels" est une expression
journalistique que je n’aime pas beaucoup, parce que les mouvements
correspondants ne sont pas des institutions de la République, pas
plus qu’aucun parti politique ou association militante du reste !
Il y a quelque chose d'étrange à voir les medias appeler les
associations et partis les plus visibles "les écolos
officiels", d'ailleurs. Et quand il s’agit d’évoquer les
entités opposées au nucléaire civil, il vaudrait mieux utiliser le
terme "des antinucléaires" plutôt que "les
écologistes" ; ce serait nettement plus précis – donc exact.
Je crois qu'à force de répéter la différence entre les faits
et les opinions, et de rappeler les faits, les opinions peuvent
changer. Je ne vois pas d'autre manière de faire de toute façon.
Il y a quelques signaux faibles qui montrent que la place du
nucléaire dans l’écologie est en train de se déplacer un peu
dans une partie de l’opinion, notamment chez les jeunes ingénieurs,
capables par ailleurs d’être très engagés sur les déplacements
(vélo, parfois avion), l’alimentation (moins de viande), la
consommation (limitation des achats)…. Chez ces jeunes, le besoin
de cohérence peut prendre le pas sur les "acquis sociaux",
qui placent le nucléaire – depuis vingt ans – du côté des
ennemis à abattre, quel que soit le contexte.
On a en effet l'impression que vous êtes le seul "écolo"
favorable au nucléaire… Ce qui semble vous faire passer pour un
OVNI.
Chez les écolos médiatiquement visibles en France, j’ai aussi
cette impression, même si je ne fais pas une revue de presse
quotidienne ! Et en Europe il y en a quelques uns, mais peu nombreux
(la plus grosse concentration est probablement en Grande Bretagne, en
Finlande et en Suède). Mais c'est normal, il va falloir dix ans pour
qu'ils commencent à changer d'avis sur le sujet. Il va falloir
beaucoup de pédagogie. Je crois qu'à force de répéter la
différence entre les faits et les opinions, et de rappeler les
faits, les opinions peuvent changer. Je ne vois pas d'autre manière
de faire de toute façon.