Allemagne : « Nous n’en sommes pas fiers, mais prolonger les centrales nucléaires était nécessaire »
interview Face à la crise énergétique, Berlin prolonge le fonctionnement des trois dernières centrales nucléaires du pays. Une décision qu’analyse Walter Glöckle, du ministère de l’Environnement de Baden-Württemberg
Propos recueillis par Manon Aublanc 09/11/22
Elle était prévue pour cette année, mais il faudra attendre encore quelques mois - peut-être même plus - pour assister à la sortie définitive du nucléaire en Allemagne. Mi-octobre, après plusieurs mois de tractation au sein de son gouvernement de coalition, le chancelier, Olaf Scholz, a annoncé le prolongement des trois dernières centrales du pays encore en activité jusqu’au 15 avril 2023. En toile de fond : la crise énergétique qui touche l’Europe.
Si la guerre en Ukraine est l’une des principales raisons avancées, la France - et la réduction de son parc nucléaire - est également responsable, selon Walter Glöckle, le chef du département nucléaire au ministère de l’environnement du Land de Baden-Württemberg. 20 Minutes est allé à la rencontre de cet expert dans les bureaux de son ministère, à Stuttgart.
Que pensez-vous de la décision du gouvernement allemand de prolonger le fonctionnement des trois dernières centrales nucléaires en activité ?
En tant que ministère « vert » de l’Environnement, nous ne sommes pas particulièrement fiers de cette décision. Mais il s’agit d’une situation particulière avec la guerre en Ukraine.
Cet été, les quatre gestionnaires du réseau allemand d’électricité - 50Herz Transmission, Amprion, TenneT TSO et TransnetBW - ont réalisé un « stress-test » pour assurer la stabilité du réseau pendant l’hiver 2022-2023 et déterminer les mesures à prendre afin d’éviter des situations de crise énergétique.
Même avec les hypothèses les plus sévères, il n’y aura pas de « black-out ». Ce qui peut arriver, en revanche, c’est une instabilité du réseau. C’est pourquoi le gouvernement fédéral a choisi de prolonger temporairement ces trois centrales. Nous avons donc soutenu cette position car elle était nécessaire.
La population comprend-elle cette décision ?
Les discussions autour du nucléaire font partie du débat public depuis très longtemps en Allemagne, avec beaucoup d’arguments pour et contre. Je pense que la population comprend que laisser trois centrales nucléaires fonctionner pendant trois mois ne serait pas si néfaste. Cependant, il est essentiel que nous restions sur la bonne voie pour sortir progressivement de cette énergie. Car la population allemande plaide pour accélérer le développement d’énergies renouvelables.
Elles pourront nous rendre plus indépendants des énergies fossiles. Installées en quantités suffisantes, elles sont principalement capables de couvrir les besoins de base. Autrement dit, elles sont notre meilleure option pour le futur.
Je pense vraiment qu’il s’agit d’une décision temporaire, qui doit durer jusqu’àu 15 avril 2023. En ce qui concerne l’hiver 2023-2024, nous avons plus de temps pour nous préparer et éviter, comme cette année, de prolonger des centrales. D’autant plus que le gouvernement fédéral a anticipé en lançant de nombreuses mesures. Dans certains cas, elles sont déjà mises en place.
L’Allemagne a par exemple décidé de construire un cinquième terminal flottant d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) dans le port de Wilhemshaven, sur la mer du Nord. Les réseaux électriques ont été renforcés pour augmenter leurs capacités de transport, et les centrales à charbon ont été prolongées jusqu’au printemps 2023.
Cette décision de prolonger trois centrales nucléaires a-t-elle été prise en raison de la crise énergétique ou à cause de la France ?
La possible instabilité sur les réseaux à laquelle on doit se préparer cet hiver est liée à plusieurs choses. Il y a la hausse des prix de l’électricité et du gaz liée à la guerre en Ukraine. On s’attend aussi à ce qu’il n’y ait pas suffisamment de production d’énergie en Europe occidentale cet hiver, notamment à cause la réduction du parc nucléaire français.
Selon les informations auxquelles nous avons eu accès, il y a plusieurs problèmes dans les centrales françaises. D’abord, de corrosion. Plusieurs cas de fissures ont été relevés dans les tuyaux, ce qui a entraîné l’arrêt de réacteurs. Ce sont des problèmes difficiles à détecter et à réparer. Les réacteurs concernés vont mettre du temps à être remis en service.
Deuxièmement, il y a eu la crise du coronavirus. Normalement, la France - et d’autres pays - profite de la période estivale, où il y a moins de demande en électricité, pour effectuer des opérations de maintenance ou de routine, comme le rechargement de combustible pour l’hiver. Mais avec le confinement, ces travaux ont pris du retard. Certaines centrales sont actuellement fermées pour effectuer des opérations qui auraient dû être faites avant.
La guerre en Ukraine a-t-elle rebattu les cartes sur l’énergie ?
Avant l’offensive russe en l’Ukraine, le secteur énergétique allemand était fortement dépendant des importations d’énergie en provenance de Russie - charbon, gaz naturel, pétrole brut. En raison d’embargos, de la réduction des livraisons ou de la destruction de pipelines, ces importations ont été réduites ou sont sur le point de l’être. Il a donc fallu que l’Allemagne trouve des solutions de remplacement pour ces ressources – dans le cas du gaz naturel, via d’autres pays comme la Norvège, ou sous forme de gaz naturel liquéfié. L’Allemagne a aussi réalisé d’importantes mesures d’économies d’énergie pour réduire la consommation des industries et des foyers.
Ce conflit a changé beaucoup de choses, mais l’importance de la sécurité de l’approvisionnement énergétique et la nécessité de la transition écologique ne sont pas nouvelles. Nous avons plutôt appris que les changements doivent arriver plus vite que prévu. C’est pour cette raison que le développement des énergies renouvelables doit être également plus rapide.
Doit-on craindre un incident nucléaire avec ce prolongement ?
Le nucléaire est une énergie à haut risque. Il y a peu de probabilité qu’un incident arrive, mais si c’est le cas, il peut être rapidement dramatique. C’est la raison pour laquelle l’Allemagne avait décidé, dès 2001, de progressivement mettre fin au nucléaire.
Depuis, les centrales ont fermé les unes après les autres. Il en reste seulement trois - Isar 2 en Bavière, Neckarwestheim en Bade-Wurtemberg et Emsland en Basse-Saxe - qui devaient être fermées d’ici à la fin 2022. Finalement, elles resteront en activité jusqu’au printemps. Les centrales étaient sûres jusqu’ici, il n’y a pas de raison qu’elles ne le soient pas trois mois de plus. En revanche, la sécurité reste un enjeu clé du nucléaire. Les exploitants devront fournir les preuves de sûreté nécessaires pour exploiter ces centrales.
La fin progressive des centrales nucléaires ne va-t-elle pas faire augmenter l’utilisation des centrales à charbon ?
Il est vrai que les centrales à charbon génèrent de fortes émissions de CO2. Comme pour le nucléaire, c’est une énergie qu’il faudra supprimer dès que possible. Leurs fermetures étaient prévues pour 2038, et le nouveau gouvernement a accepté d’avancer cette échéance à 2030 pour atteindre ses objectifs climatiques.
Mais la guerre en Ukraine a changé la situation, on a dû réouvrir certaines centrales à charbon pour garantir notre approvisionnement énergétique dans les mois à venir. Toutefois, j’ai bon espoir que l’Allemagne sorte progressivement du charbon et que le pays accélère le développement d’énergies renouvelables. Il nous faut un avenir vert et sans énergies fossiles.
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