Dans un essai édifiant, le journaliste Guillaume Pitron dévoile “la face
cachée de la transition énergétique et numérique”. Selon lui, le
recours aux éoliennes, panneaux solaires et autres véhicules électriques
n’a fait que déplacer l’impact de l’activité humaine sur les
écosystèmes.
Des ONG écologistes aux économistes les plus divers en
passant par les cénacles de la “finance verte”, un consensus semble
s’être dégagé – depuis la COP21 notamment –, au moins dans les discours :
“Les énergies fossiles ne sont plus la solution, elles sont devenues le problème.” Le ministre de l’Ecologie, Nicolas Hulot, l’a répété le 12 décembre 2017 à l’occasion du One Planet Summit, qui portait sur le financement des politiques climatiques.
On mesure mieux, à l’aune de cet unanimisme écolo-friendly, la
controverse que va susciter l’essai iconoclaste du journaliste (au Monde diplomatique notamment) Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares – La Face cachée de la transition énergétique et numérique (éd. Les Liens qui Libèrent).
Dans cette enquête de terrain nourrie par six ans de tribulations dans
une douzaine de pays, l’auteur jette une lumière crue sur un angle mort
de la lutte contre le réchauffement climatique : paradoxalement, la
manière dont sont produites les “green-tech” dont dépendent les
énergies renouvelables (ainsi que nos smartphones), et dont nous sommes
de plus en plus friands, est très peu respectueuse de l’écosystème.
Des panneaux solaires aux véhicules électriques, en passant par
certaines éoliennes, des vecteurs essentiels de la révolution
énergétique en cours sont fabriqués à partir d’une trentaine de métaux
rares (graphite, cobalt, indium, prométhium, tungstène, terres rares…)
dont l’extraction et le raffinage sont dévastateurs pour
l’environnement. Alors que l’extraction pétrolière ou les mines à
charbon de jadis nous apparaissent aujourd'hui comme les plus sales des
procédés, Guillaume Pitron soulève un contrepoint inattendu : “Notre
quête d’un modèle de croissance plus écologique a plutôt conduit à
l’exploitation intensifiée de l’écorce terrestre pour en extraire le
principe actif, à savoir les métaux rares, avec des impacts
environnementaux encore plus importants que ceux générés par
l’extraction pétrolière.” Les technologies de l'information et de la communication (smartphones, tablettes, ordinateurs), elles aussi, produisent “50% de plus de gaz à effet de serre que le transport aérien”, compare l'ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine dans sa préface.
Mais d’où vient notre aveuglement sur le sujet ? C’est que, depuis
les années 1990, les pays occidentaux ont délocalisé l’extraction et le
raffinage de ces matières premières (associées dans la nature aux métaux
les plus abondants) dans des pays prêts à sacrifier leur environnement
pour doper leur économie, au premier rang desquels la Chine. C’est ce
qui s’est produit en France avec Rhône-Poulenc (devenu Rhodia), un des
deux grands chimistes mondiaux des métaux rares, qui a abandonné sa
production – pour la transférer en Chine notamment – au milieu des
années 1990. C'est désormais l’une des industries les plus polluantes et
les plus secrètes dans l’empire du Milieu.
“La plus fantastique opération de greenwashing de l’histoire”
Activités sauvages, mineurs illégaux, minerais purifiés à l’aide de produits chimiques déversés dans les sols et les fleuves… “D’un
bout à l’autre de la chaîne de production de métaux rares, quasiment
rien en Chine n’a été fait selon les standards écologiques et sanitaires
les plus élémentaires”, détaille l'auteur. A Baotou, capitale mondiale des terres rares où il s’est rendu, les lacs de rejets toxiques et les “villages du cancer dont les habitants meurent à petit feu” constituent la réalité inavouable de la transition énergétique.
“Dissimuler en Chine l’origine douteuse des métaux a permis de décerner aux technologies vertes et numériques un certificat de bonne réputation”
Son essai bouleverse bien des idées reçues, et met en évidence une
contradiction soustraite à nos yeux depuis des décennies : celle d’un “monde plus vert tributaire de métaux sales”. “Dissimuler
en Chine l’origine douteuse des métaux a permis de décerner aux
technologies vertes et numériques un certificat de bonne réputation.
C’est certainement la plus fantastique opération de greenwashing de l’histoire”,
écrit-il ainsi. Ébranlé dans ses certitudes, le lecteur serait tenté de
crier au complotisme. Mais les faits sont têtus, et l’auteur les étale
scrupuleusement sous nos yeux. “La seule industrialisation d’une
voiture électrique consomme trois à quatre fois plus d’énergie que celle
d’un véhicule conventionnel”, affirme-t-il en s’appuyant sur une étude de l’université de Californie, à Los Angeles.
Pour “un renouveau extractif dans l’Hexagone”
Les lendemains plus verts auxquels nous aspirons seraient-ils donc
victimes d'une malfaçon ? Nous a-t-on vendu une transition énergétique
en forme de village Potemkine ? Pour nous ôter ce doute, le journaliste
plaide en conclusion de son ouvrage “en faveur d’un renouveau extractif dans l’Hexagone”. Outre des raisons géopolitiques, il invoque un argument environnemental aussi inattendu que percutant : “Rien
ne changera radicalement tant que nous n’expérimenterons pas, sous nos
fenêtres, la totalité du coût de notre bonheur standard.” Par Mathieu Dejean
La Guerre des métaux rares - La Face cachée de la transition énergétique et numérique, de Guillaume Pitron, éd. Les Liens qui Libèrent, 20€ (sortie le 10 janvier)
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