Les éoliennes peuvent-elles avoir un impact négatif sur la santé des vaches ? Oui, selon une expertise et cet éleveur de la Somme, contraint d’envoyer son cheptel à l’abattoir. Le courrier Picard. Publié le 25/09/2015
D’ici quelques mois, Yann Joly devra faire une croix sur son métier d’éleveur laitier. Pourtant, ni les quotas, ni le diktat de la grande distribution ne sont à l’origine de ce drame personnel. Non, si cet éleveur du Boisle, petit village situé une vingtaine de kilomètres au nord d’Abbeville, envoie ses vaches à l’abattoir, c’est tout bêtement, selon lui, à cause des éoliennes. Situé à cheval sur les communes voisines de Gueschart, Noyelles-en-Chaussée et Brailly-Cornehotte, à environ 1,8 kilomètre de son exploitation, ce parc de 24 machines mis en service en 2011 serait à l’origine de son malheur.
Contraint, à 44 ans, de licencier son employé et de prendre un boulot à mi-temps, l’éleveur vient d’assigner en justice l’opérateur de ce parc éolien pour obtenir réparation. Il réclame le remboursement d’une partie du manque à gagner, soit 356 900 euros. « Je n’ai plus rien à perdre, et j’irai jusqu’au bout », prévient Yann Joly, déterminé et sûr de son fait. Sa conviction, acquise au fil du temps, est aujourd’hui appuyée par une expertise qui pourrait faire date.
Malades du jour au lendemain
Réalisée à la demande de l’éleveur par Christiane
Nansot, ingénieur en agriculture et expert agricole et foncier près la
cour d’appel d’Amiens, ce document établit pour la première fois le lien
de causalité entre la présence des éoliennes et la dégradation de
l’état de santé de son cheptel. C’est en 2011 en effet, date de
l’installation de ces monstres d’acier de 120 mètres de hauteur, que ses
vaches ont commencé à présenter de curieux symptômes. Du jour au
lendemain, les ruminants refusent de s’abreuver et la production de lait
s’effondre. Comme en atteste le rapport d’expert, les bovins affichent
également des retards de croissance, et le troupeau est marqué par une
augmentation des mammites, une affection courante des mamelles des
vaches laitières, et «
une qualité bactérienne du lait qui se dégrade
».Appelés à la rescousse, ni le technicien du contrôle laitier, ni le vétérinaire ou le marchand d’aliments ne trouvent d’explications rationnelles. « Du jour au lendemain, aux yeux du banquier ou de l’entourage, on me fait passer pour un farfelu et un éleveur qui fait mal son travail. C’est très dur à supporter. »
Une rivière en cause ?
C’est donc en désespoir de cause qu’il commande cette expertise qui finira par asseoir sa conviction. «
Ce rapport montre clairement la concomitance
entre les faits, l’installation de ces éoliennes, et les conséquences,
la dégradation de l’état sanitaire des vaches, note son avocat Philippe Bodereau. Cette
expertise n’est probablement pas suffisante pour faire condamner la
société, mais c’est un élément très important qui nous met devant des
réalités préoccupantes.
»Contacté, le promoteur de ce parc (CSO Energy), n’a pas souhaité répondre à nos questions. Pour l’éleveur, la difficulté dans ce dossier sera aussi de démontrer pourquoi son troupeau, et uniquement le sien, est affecté. La réponse se trouve peut-être dans un autre rapport réalisé par Alexandre Rusanof, ingénieur géologue renommé qui a détecté la présence d’une rivière souterraine située sous l’exploitation, susceptible de servir de conducteur aux ondes. Le même phénomène aurait été recensé par le chercheur dans un village de Loire-Atlantique, où plusieurs élevages situés à proximité d’un parc présenteraient les mêmes symptômes.
Pas de risques sanitaires avérés
À ce jour, aucune étude scientifique n’a établi que les éoliennes avaient un impact nocif sur les animaux. « Et jusqu’à présent, aucun cas similaire ne nous a été signalé, précise Olivier Thibault, secrétaire général des producteurs de lait de la Somme. Mais cela ne signifie pas que le problème n’existe pas. Nous sommes persuadés par exemple que les lignes à haute tension ont un impact négatif, mais c’est très difficile à prouver, et ce combat est celui du pot de terre contre le pot de fer. »Celui mené par Yann Joly ne devrait pas échapper à la règle. « Mais personne ne mettait en doute l’amiante avant que l’on découvre qu’elle provoque des cancers », compare l’avocat de l’éleveur Philippe Bodereau, persuadé qu’un vrai scandale sanitaire se cache derrière cette affaire.
« Et si mes vaches sont malades, pourquoi pas nous », abonde Yann Joly, qui commence sérieusement à se poser des questions quant à l’impact de l’éolien sur sa propre santé. « Il y a trois ans que je ne dors plus et je ressens régulièrement des douleurs musculaires. C’est sûrement lié au stress généré par toute cette histoire, mais rien ne dit qu’il n’y a pas autre chose. »
Néanmoins, malgré une littérature scientifique qui abonde d’études sur les risques sanitaires liés à l’éolien, un rapport de L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), a conclu à l’absence de risques pour l’homme.