Tribune d’Alain Desgranges, ancien directeur des tranches 3 et 4 de la centrale du Blayais
La politique énergétique de notre pays n’est plus adaptée à une
situation où les besoins en électricité vont croissant en raison
notamment de l’évolution démographique et de ses nouveaux usages
(mobilité électrique, fabrication d’hydrogène, numérique … ).
Mais il n’est pas simple de concevoir un mix énergétique équilibré
qui contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre,
produit une électricité à un coût raisonnable et dont les installations
de production (mais aussi les lignes de transport ) soient acceptables
par les riverains concernés, qu’elles soient thermiques (cycles combinés
au gaz), éoliennes ou nucléaires.
A cet égard, le Chef de l’Etat avait reconnu en début d’année qu’il
fallait tenir compte de l’hostilité croissante de la population
concernée par les projets de développement de l’éolien, notamment
l’éolien terrestre.
Interrogé sur la transition écologique à l’occasion des inondations
de St – Martin – Vésubie et de l’impact du dérèglement climatique sur
ces catastrophes, il avait été aussi très clair “ Si on ferme des
centrales nucléaires, on est obligé d’ouvrir aujourd’hui des centrales
au charbon !…” Une déclaration qui vient pourtant de se vérifier ces
dernières semaines avec un peu d’avance sur le calendrier.
Mais aussi une affirmation paradoxale au lendemain de la fermeture
anticipée de la centrale de Fessenheim qui a jeté quelques troubles dans
l’opinion, le redémarrage de ces centrales au charbon laissant augurer
le pire pour les mois à venir.
Malheureusement, cette situation confirme les errements de notre
politique énergétique depuis plusieurs années et son incapacité à
répondre aux enjeux majeurs qui se posent à elle.
Les craintes de coupure
C’est ainsi que les médias se sont fait l’écho de possibilités de
coupures de courant ce prochain hiver, sans doute pour préparer
l’opinion à l’impensable.
S’agissant de ces risques à venir, la ministre de la Transition
écologique a eu une réponse dictée par ses convictions profondes, plus
que par les faits, en faisant état de l’impact de la crise sanitaire sur
l’entretien de nos réacteurs,
ce qui n’est pas faux, mais en oubliant au passage de convenir que
l’arrêt anticipé de Fessenheim, qui aurait pu attendre, est un facteur
aggravant.
Par ailleurs, son insistance à profiter de cette situation pour
dénoncer la prédominance du nucléaire dans notre mix énergétique est
quelque peu inconvenante.
De surcroît, cette appréciation est inexacte dès lors que
l’interconnexion des réseaux européens permet aujourd’hui de mesurer la
diversification d es moyens de production à l’aune du continent européen
et non du territoire national, ce qui change tout.
Mais comment en sommes-nous arrivés là alors que nous étions exportateurs d’électricité ces dernières années ?
Pourquoi, lorsque la météo nous en fait l’obligation, sommes-nous
devenus un pays sous-développé obligé de recourir à l’importation
massive de courant produit par les centrales au charbon de l’Allemagne,
qui se moque pas mal de ses émissions de CO2 ?…
Comment se fait-il que l’Etat français soit incapable de résister à
la Commission Européenne qui veut troquer le démantèlement d’EDF, l’un
de nos derniers fleurons industriels, contre la révision de l’ARENH,
cette disposition inique qui oblige EDF à vendre son électricité à ses
concurrents à des prix bradés ?
Le nucléaire est une énergie d’avenir comme le rappellent avec force les experts du GIEC
A l’aube du « monde d’après » il revient à l’Exécutif de corriger le
cap et de reconnaître les atouts du nucléaire, seule énergie avec
l’hydraulique qui soit en capacité d’atteindre les objectifs de la SNBC
(Stratégie Nationale Bas Carbone) et de satisfaire ainsi à nos
engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le
cadre de l’Accord de Paris.
Avec le plan de relance de l’économie dans lequel l’Etat a déclaré le
« nucléaire bon pour le climat » s’ouvre la perspective d’un tournant
de la politique énergétique de la France. Le gouvernement inclut en
effet l’énergie nucléaire dans ce plan au titre des énergies et des
technologies vertes qui ont un « potentiel de réduction massive des
émissions à long terme » .
Un premier pas de notre pays qui reconnaît ( enfin) les atouts du
nucléaire. La France marquant ainsi sa différence avec la Commission
Européenne qui n’en est pas encore à ce point majeur, excluant le
nucléaire de la taxonomie tout en y intégrant le gaz !
Mais il faut aller plus loin et donner toute sa cohérence à la
politique énergétique de la France en revenant sur la LTECV (Loi
Transition Energétique pour une Croissance Verte ), notamment la
limitation arbitraire à 50 % de la part du nucléaire dans notre mix
énergétique qui entraînera l’arrêt anticipé de 12 réacteurs s’ajoutant
aux deux de Fessenheim à l’horizon 2035 .
Une limitation sans aucune justification hormis un accord électoral
d’un autre temps. Dans cette perspective, la répartition entre nucléaire
et renouvelables devrait être déterminée en tenant compte de la
compétitivité des différents moyens de production, de leur réelle
contribution à la lutte contre le réchauffement climatique et de leur
capacité à assurer la sûreté du système électrique et à contribuer à
l’indépendance énergétique de la France.
Et surtout pas sur des considérations idéologiques qui n’ont pas leur
place dans cette démarche. Sur ces mêmes critères, il conviendrait de
redéfinir les systèmes de subventions de certaines de ces énergies
alors qu’elles se déclarent compétitives avec le nucléaire.
Des paroles aux actes
Il reviendra aussi au gouvernement de résister aux exigences de la
Commission Européenne qui, sous prétexte d’un libéralisme trompeur,
reste hostile au nucléaire et veut la disparition d’EDF, influencée
en cela par nos voisins outre-Rhin égaré s dans l’impasse de
l’Energiewende.
Alors que la rumeur prête au Président de la république l’intention
de relancer la filière nucléaire française qui fût longtemps un exemple
mondial, la mise en œuvre dans les meilleurs délais d’ un programme de
construction de six EPR 2 permettrait de consolider le maintien des
compétences qui ont fait cruellement défaut pour le chantier de l’EPR de
Flamanville, en continuité des projets dans le Royaume Uni de Hinkley
Point C et de Sizewell C .
Bien entendu, Emmanuel Macron a la connaissance de tous ces sujets et il n’était nul besoin de les lui rappeler.
Sauf pour attirer son attention et celle des élus en responsabilité
sur ce dossier de notre intime conviction qu’il n’est que temps de
passer des paroles rapportées en début de cette tribune aux actes
qu’impose le sauvetage de la filière nucléaire française qui, avec ses
220 000 emplois de haute technicité et non délocalisables, reste la
troisième en France derrière l’automobile et l’aéronautique.
source: https://www.lemondedelenergie.com/relance-filiere-nucleaire-francaise-tribune/2020/12/07/