jeudi 26 novembre 2020

Quand l’écologie nous ramène à la bougie

 

Par Ferghane Azihari

Publié le

 

Ferghane Azihari, délégué général de l’Académie libre des sciences humaines (ALSH), revient sur l'aversion des écologistes pour le nucléaire.

Trente ans après la chute du mur de Berlin, la France demeure l’un des pays les plus dirigistes du monde développé. À tel point que l’économiste Jacques Lesourne aimait la qualifier d’URSS qui a réussi. C’était sans compter les propos tenus par Barbara Pompili jeudi 19 novembre. La ministre de la Transition énergétique n’a pas exclu le rationnement de l’électricité, voire des coupures, dans l’éventualité d’un hiver rugueux. En cause, nous n’aurions pas fait "le travail d’économie d’énergie". Le problème serait du côté de la demande et non de l’offre. La nomenklatura qui a concrétisé la fermeture de Fessenheim explique doctement que les risques de pénurie d’électricité sont du fait des citoyens. L’écologie politique se défendait de vouloir retourner à la bougie. Elle est en train de nous y mener à marche forcée.

"Diversifier ses sources d’énergie n’a aucun intérêt si l’on remplace des solutions fiables, abondantes et sécurisées par des technologies coûteuses et imprévisibles"

L’insulte à notre intelligence ne s’arrête pas là. Comme si le recours à des méthodes du tiers-monde pour sécuriser l’approvisionnement en électricité ne suffisait pas, la ministre a accusé notre trop grande dépendance à l’énergie nucléaire, soit la seule énergie décarbonée, pilotable et généralisable. Exit l’impératif climatique. La sécurité énergétique passerait par la diversification des sources d’énergie, présentée comme un objectif en soi. Pourtant, les Norvégiens n’ont aucun problème à consommer deux fois plus d’énergie que nous par personne en dépendant de l’énergie hydraulique à plus de 60%. Diversifier ses sources d’énergie n’a aucun intérêt si l’on remplace des solutions fiables, abondantes et sécurisées par des technologies coûteuses et imprévisibles.

Sabotage

Dans la novlangue politique française, diversifier signifie augmenter la part des renouvelables dans notre mix énergétique en diminuant celle du nucléaire. Alors que plus personne ne peut ignorer l’échec de la transition énergétique allemande, on peut s’interroger sur les intentions de ceux qui persistent mordicus à prendre pour modèle la stratégie d’Angela Merkel.

Les faiblesses du solaire et de l’éolien sont connues de tous les spécialistes. Outre la consommation excessive d’espace pour produire une unité d’énergie, leur intermittence et la difficulté de les stocker en font des sources d’électricité peu fiables. En Allemagne, ces inconvénients sont compensés par le charbon et le gaz, alors que ne pas fermer arbitrairement les centrales nucléaires aurait mené à pouvoir réduire la consommation desdites énergies fossiles. En dépit des centaines de milliards d’euros dilapidés par l’Energiewende, nos amis allemands finissent par avoir une électricité plus chère et plus carbonée que les Français. Veut-on nous infliger cette double peine ?

"Ces énergies sont faites pour des tribus de petits paysans, de petits commerçants et de petits artisans"

Défiant la logique, le commentaire de Barbara Pompili laisse entendre qu’il suffirait de baisser la part du nucléaire au profit des renouvelables pour déjouer le risque de pénurie d’électricité. Il faut pourtant se plonger dans la littérature écologiste pour constater que les plus ardents promoteurs des renouvelables n’ont jamais eu l’ambition d’assurer la pérennité d’une civilisation développée. Dans son ouvrage intitulé Notre environnement synthétique, l’écologiste Murray Bookchin est explicite sur le fait que les sociétés fondées sur l’éolien et le solaire seraient plus "décentralisées". Il entendait par là des communautés moins denses et une économie peu intensive en capital physique.

Autrement dit, ces énergies sont faites pour des tribus de petits paysans, de petits commerçants et de petits artisans. Elles ne suffiraient pas à alimenter de larges complexes hospitaliers ou industriels. Serge Latouche, chantre historique de la décroissance, ne dit pas autre chose quand il écrit que "les énergies renouvelables comme le solaire, la géothermie ou l’éolien qui ne se stockent pas ou mal sont adaptées à des implantations et des usages locaux. Elles conviennent bien aux sociétés décentralisées, sans grandes concentrations humaines". Son discours a le mérite d’être cohérent avec son rêve de voir le PIB français retrouver son niveau de 1960.

Nucléaire : pourquoi tant de haine ?

Dès lors, on comprend la méfiance des décroissants vis-à-vis du nucléaire, qu’ils redoutent pour les mêmes raisons qu’ils affectionnent les énergies renouvelables. Les combustibles nucléaires étant abondants sur notre planète, les écologistes savent que l’atome peut devenir une source d’énergie quasi-illimitée. Ce qui permettrait à l’humanité d’obtenir un niveau de vie toujours plus élevé.

Craignant ce scénario, l'écologiste Paul Ehrlich écrivait que donner à l'humanité une énergie abondante et accessible serait "moralement équivalent au fait de donner une mitraillette à un enfant idiot". Voilà une preuve parmi d’autres de l’insincérité des écologistes. Pour eux, la défense de l’environnement n’est qu’un alibi au service de la destruction des sociétés bourgeoises.

"Les écologistes ont le droit de préférer le grand soir aux impératifs environnementaux"

Cet objectif transparaît clairement chez André Gorz, grande figure française du mouvement décroissant. Dans un texte paru en 1974, il soulevait auprès de ses partisans le risque que la civilisation industrielle s’accommode des impératifs écologiques : "C’est pourquoi il faut d’emblée poser la question franchement : que voulons-nous ? Un capitalisme qui s’accommode des contraintes écologiques ou une révolution économique, sociale et culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme et, par là même, instaure un nouveau rapport des hommes à la collectivité, à leur environnement et à la nature ? Réforme ou révolution ?"

Les écologistes ont le droit de préférer le grand soir aux impératifs environnementaux. Mais nous gagnerions à ce qu’ils soient plus honnêtes en cessant de feindre qu’ils font de l’environnement leur priorité absolue. Le débat public serait plus transparent. Dans ces conditions, gageons que le clivage du XXIe siècle n’est pas entre les "terrestres" préoccupés par les limites planétaires et les "non terrestres" avides de croissance économique, comme l’a affirmé le maire de Lyon Grégory Doucet à la suite des élections municipales. L’authentique opposition est entre ceux qui souhaitent rendre le confort des sociétés humaines soluble dans les impératifs environnementaux, et ceux qui rêvent de prendre leur revanche sur la guerre froide en nous ramenant au temps des chasseurs-cueilleurs.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire