mardi 4 septembre 2018

L’écologie politique est un fonds de commerce


Jean-Pierre Chevènement critique le bilan de l’ex-ministre de la Transition écologique et les effets du « lobby écologiste » en France. Elene Usdin

Dans une tribune au Parisien - Aujourd’hui en France, l’ancien ministre d’Etat revient sur la démission de Nicolas Hulot de son poste de ministre de la transition écologique.

« Dans toute démission, dans celle de Monsieur Hulot comme dans d’autres, il y a la forme et il y a le
fond.

La forme en a surpris plus d’un, à commencer sans doute par le Président de la République.
Puis-je rappeler un souvenir ? A deux reprises, sur la politique industrielle et sur la guerre du Golfe,
François Mitterrand m’a demandé de surseoir à ma démission de plusieurs jours et même de plusieurs
semaines. Vous n’allez pas démissionner la nuit, comme Rocard ? m’avait-il ainsi interrogé le 29
janvier 1991. Nous sommes convenus que la passation de pouvoirs à l’Hôtel de Brienne se ferait le
surlendemain et François Mitterrand connaissait ma décision depuis le 7 décembre 1990 !

Aujourd’hui, tout se gère à l’aune de la communication. Monsieur Hulot était pour le Président
Macron une splendide prise médiatique. Il a plutôt une bonne tête. Depuis Ushuaïa, l’émission qui l’a
rendu célèbre, il jouit de la faveur de l’opinion. De surcroît, Monsieur Hulot n’est pas vraiment
un Vert. Il était là pour permettre au gouvernement de gérer cette petite frange de l’opinion qui met la
notion vague d’écologie au sommet de ses priorités.

Soyons clairs : que les questions environnementales et la préservation des biens communs à toute
l’humanité (eau, air, sol, etc.) soient d’une importance primordiale, je suis le premier à en convenir.
Mais il va tout autrement de l’idéologie des Verts qui est une forme de millénarisme : depuis 1945,
l’humanité a substitué à son horizon la catastrophe au lieu du progrès. En réaction au nazisme, le
philosophe allemand Hans Jonas a inventé le principe de précaution. Ce principe, inscrit dans notre
Constitution, n’a rien de scientifique. Un gouvernement qui voudrait l’appliquer pleinement ne devrait pas se borner à abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes. Il lui faudrait fermer toutes les usines non seulement nucléaires mais chimiques, renoncer aux grands projets d’infrastructures, multiplier les conflits avec les agriculteurs et les entrepreneurs à force de réglementations tracassières.

Tel n’était pas l’état d’esprit de Monsieur Hulot. Depuis qu’on sait qu’il ne trouvait plus le sommeil, l’opinion s’interrogeait : que cachait depuis six mois ce chantage public et permanent à la démission ? Comment se terminerait ce ballet d’hésitations ? Sur quel grand sujet le ministre choisirait-il de tomber ?

Depuis quelques jours, on respire : ce n’était que la chasse et la présence d’un lobbyiste à l’Élysée !

Comme si les politiques ne passaient pas une grande partie de leur temps à écouter – et d’ailleurs à
juste titre – les représentants des intérêts particuliers, leur tâche étant de faire prévaloir, in fine,
l’intérêt général.

Ainsi, la chasse n’était, pour le ministre, qu’un prétexte. En réalité, Monsieur Hulot gère au plus près
son capital médiatique. L’écologie politique est un fonds de commerce et la concurrence est rude :
même Jean-Luc Mélenchon vient d’annoncer avoir découvert le problème de l’eau : chaude ou froide,
il ne précise pas…

Dans toute cette affaire, je ne vois guère le souci de l’État. Monsieur Hulot donne à Emmanuel
Macron un coup dont il se relèvera. En quoi l’avait-il mérité, sinon d’en avoir fait son ministre de
l’Écologie ?

Quelle est, sur le fond, la question qui justifie la décision de Monsieur Hulot ? Je n’en vois qu’une, à
vrai dire, c’est la place du nucléaire dans l’approvisionnement énergétique de la France. En
démissionnant à la radio, le ministre s’est lâché : il a incriminé le nucléaire, cette folie inutile,
économiquement et techniquement, dans laquelle on s’entête.

Nicolas Hulot sait très bien qu’Emmanuel Macron, à juste titre, juge totalement irréaliste l’objectif de
ramener à 50 % la part du nucléaire dans l’électricité produite en France en 2025. L’objectif en
question a été fixé dans le programme du PS de 2011. C’est François Hollande qui l’a fait passer dans
la loi, en 2015. Cet objectif est complètement démagogique, purement électoraliste et contraire à
l’intérêt du pays.

Le solaire et l’éolien sont des énergies intermittentes qui rendent nécessaire de maintenir le nucléaire,
source permanente, la moins chère et la moins polluante.

On voit ce que coûte aux Allemands la décision de Madame Merkel, en 2011, de renoncer au nucléaire: ils doivent recourir au charbon et acquitter, s’agissant des particuliers, une facture d’électricité près de deux fois supérieure à celle payée par les ménages français. S’engager dans cette voie serait, de surcroît pour notre pays, un terrible gâchis industriel ! Voit-on que la Chine, l’Inde, la Russie, la Grande-Bretagne, le Japon, même après Fukushima, ont renoncé au nucléaire ?

Tout au contraire ! Rosatom en Russie a, à l’exportation, un carnet de commandes de 33 projets de
centrales. Tout cela était à notre portée, si la main n’avait pas tremblé sous la pression du lobby
écologiste.

Depuis des décennies, notre industrie nucléaire s’étiole. Elle perd ses savoir-faire. Il faut dire que la
dernière centrale construite, celle de Civaux a été décidée en 1981 et inaugurée en 1999, il y a vingt
ans !

Voilà le mal français : depuis des décennies nos élites ont fait le choix de « laisser partir » nos
industries.

On en voit le résultat : une balance commerciale déficitaire de 75 milliards d’euros en 2017 quand
l’Allemagne affiche un excédent de 254 milliards ! Comment, dans ces conditions, remettre la
France au centre du jeu européen ? Notre seul vrai problème est celui de notre compétitivité. Le solde
de notre balance commerciale n’a cessé de se dégrader depuis 2003. Le déficit énergétique (38
milliards d’euros en 2017) s’ajoute au déficit manufacturier (plus de 30 milliards).

Or, l’hostilité viscérale au nucléaire est le noyau, si je puis dire, de l’idéologie verte, fondamentalement réactionnaire et technophobe.

Le choix du nucléaire est un choix de longue portée, une affaire de générations.

Un rapport commandé par Nicolas Hulot préconise de construire six EPR à partir de 2025 pour une
entrée en service en 2035. Le centre d’enfouissement des déchets ultimes de Bure dans la Meuse
n’entrera en service que dans la décennie 2040. Or le centre de Bure concentre déjà l’hostilité violente des Verts, à l’échelle européenne ! Et cela ne fait que commencer !

L’avenir d’un atout industriel majeur de la France est ainsi l’objet d’un bras de fer entre, d’une part,
une minorité de décideurs qui se refusent à brader l’héritage des générations en même temps que
l’avenir du pays et, d’autre part, une petite minorité extrémiste (à peine 3 % des électeurs) qui entend
prendre en otage l’opinion, à travers un système politico-médiatique dont l’indépendance de la France est devenue le cadet des soucis. Sur ce dossier vital, Nicolas Hulot n’avait pas la capacité de trancher en homme d’État.

Tel est l’éclairage de fond qui donne sens à sa démission : d’un côté les fantasmes d’une idéologie
millénariste, de l’autre le souci de maintenir la France dans l’Histoire. Monsieur Hulot a bien raison de dire : Il ne faut pas se mentir ! Il y avait, en effet, de quoi perdre le sommeil pour un homme d’État!

Si cette hypothèse d’une contradiction intenable pour Monsieur Hulot, ministre, s’avérait exacte, alors il faudrait lui dire sincèrement : Bonnes vacances, Monsieur Hulot ! »

http://www.leparisien.fr/politique/jean-pierre-chevenement-bonnes-vacances-monsieur-hulot-01-
09-2018-7872783.php

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