Une nouvelle proposition de loi présentée à l'Assemblée nationale où une député de Saône et Loire s'engage.
Enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 janvier 2020
présentée par Mesdames et Messieurs
Emmanuel MAQUET, Véronique LOUWAGIE, Laure de LA RAUDIÈRE, Marc LE
FUR, Jean-Marie SERMIER, Valérie BEAUVAIS, Raphaël SCHELLENBERGER,
Claude de GANAY, Arnaud VIALA, Bernard PERRUT, Laurence TRASTOUR-ISNART,
Josiane CORNELOUP, Stéphane VIRY, Xavier BRETON, Éric PAUGET, Pierre
MOREL-À-L’HUISSIER, Emmanuelle ANTHOINE, Isabelle VALENTIN, Valérie
LACROUTE, Guy BRICOUT, Rémi DELATTE, Daniel FASQUELLE, Éric STRAUMANN,
Vincent DESCOEUR, Frédérique MEUNIER, Stéphane DEMILLY, Bérengère
POLETTI,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’énergie éolienne n’est pas une énergie comme les autres. Elle est paradoxale à plus d’un titre. Le
premier paradoxe est que c’est l’une des sources d’énergie les moins
productives du fait de l’intermittence du vent, pourtant elle est l’une
des plus soutenues par l’État, ayant déjà obtenu plus de 9 milliards
d’euros d’aides directes sur les vingt dernières années. Ce
chiffre, qui ne comprend pas les coûts induits, comme l’adaptation de
notre réseau électrique, a été atteint pour la majeure partie en-dehors
de tout contrôle budgétaire du Parlement.
Et cet engagement
budgétaire est appelé à grossir : lors de son audition le 4 avril 2019
devant la commission d’enquête sur l’impact économique, industriel et
environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des
financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition
énergétique, le président de la Commission de régulation de l’énergie
(CRE) a indiqué que les sommes d’ores et déjà engagées pour la
période 2019-2043 étaient, selon les hypothèses de prix du marché, entre
21 et 25 milliards pour l’éolien terrestre et entre 20 et 23 milliards
pour l’éolien en mer.
Cela représente, si l’on
prend l’estimation la plus basse, une moyenne d’1,7 milliard par an
pour la filière éolienne. Et ce, sans même compter les dépenses
nouvelles liées aux nouveaux projets nécessaires pour remplir les
objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Celle-ci
prévoit de porter la part de l’énergie éolienne à environ 15 % de notre
production électrique en 2028. Dans son rapport spécial de juin 2019
sur la mission Écologie, développement et mobilités durables du
budget 2018, M. Julien Aubert estimait l’impact budgétaire final du
soutien public aux éoliennes, une fois rempli cet objectif, entre 72,7
et 90 milliards d’euros. Une somme colossale, équivalente à ce que la
France a dépensé initialement pour se doter de son parc nucléaire, à
ceci près que les éoliennes produiront cinq fois moins d’électricité et
auront une durée de fonctionnement trois fois inférieure.
Si l’investissement
public qui leur est consacré est sans commune mesure avec la capacité
réelle des éoliennes à produire de l’électricité, l’investissement privé
l’est tout autant. Tout se passe comme si la production d’électricité
n’était pas la première chose que l’on attend des éoliennes. Compte tenu
des conditions météorologiques, une éolienne ne fonctionne à pleine
puissance en moyenne que 21 % du temps. En plus de ne pas pouvoir
tourner quand il n’y a pas de vent, elles doivent aussi s’arrêter quand
il y en a trop, sous peine de dégâts. C’est la raison pour laquelle,
en 2017, lors du premier appel d’offres multi-technologies mettant en
concurrence, pour 16 projets, à la fois des éoliennes et des panneaux
photovoltaïques, l’ensemble des projets ont été remportés par des
installations photovoltaïques. Parmi tous les dossiers déposés et pour
une même puissance, les panneaux solaires étaient en moyenne capables de
produire autant d’électricité à un prix 27 % moins cher que les
éoliennes. Cela n’a pourtant pas suscité la moindre remise en question
des objectifs stratégiques de la France en la matière.
Cette faible
productivité conduit naturellement à un impact particulièrement faible
des éoliennes dans notre bouquet énergétique, soit 5,1 % de la
production nationale en 2018. En l’occurrence, même si elles
produisaient dix fois plus, elles n’auraient toujours aucun impact sur
nos émissions de gaz à effet de serre, puisqu’elles s’inscrivent dans le
contexte français où la production d’électricité est déjà décarbonnée à
98 %. C’est le deuxième paradoxe de
cette énergie : les éoliennes sont devenues le symbole de la transition
énergétique alors qu’elles n’ont dans notre pays aucun impact sur les
émissions de gaz à effet de serre qui provoquent le réchauffement
climatique, ayant principalement vocation à remplacer le nucléaire qui
ne produit pas de CO2.
D’après la documentation
Base Carbone de l’Ademe, qui prend en compte l’intégralité du cycle de
vie des énergies, y compris l’extraction et l’acheminement des éléments
nécessaires à leur fonctionnement, les émissions de CO2 du
secteur nucléaire sont de 6 grammes par kWh d’électricité, soit deux
fois moins que l’éolien terrestre (12,7 g CO2eq/kWh). Cela fait du
nucléaire l’énergie la plus propre du marché avec l’hydraulique.
À ce sujet, des « fake
news » se sont profondément ancrées dans l’opinion publique, puisque
d’après un sondage BVA pour Orano publié en juin 2019, 69 % des Français
pensent que l’énergie nucléaire contribue au réchauffement climatique,
ce chiffre s’élève à 86 % chez les 18-34 ans. Un contresens flagrant au
regard des chiffres précédemment cités. Par ailleurs, si l’on observe la
consommation d’énergie finale de notre pays, l’électricité n’en
représentait que 26,6 % en 2016. Ce sont bien les produits pétroliers
qui restent la première source énergétique de notre pays, avec 36,1 % de
l’énergie finale, ultra-majoritaire dans les transports et
l’agriculture. À la lumière de ces informations, la Cour des comptes a
estimé en mars 2018 que, pour répondre aux enjeux climatiques, les
objectifs nationaux auraient dû se concentrer sur les énergies
renouvelables thermiques permettant de remplacer les produits
pétroliers.
Ce n’est pour l’instant
pas le cas, puisque le soutien public aux énergies renouvelables
électriques est de l’ordre de dix fois supérieur au soutien aux énergies
renouvelables thermiques. La Cour en tire la conclusion que l’objectif
de la politique énergétique n’est pas de lutter contre le réchauffement
climatique, mais de remplacer une énergie propre par une autre énergie
propre plus coûteuse : « La place consacrée aux énergies renouvelables
électriques dans la stratégie française répond à un autre objectif de
politique énergétique, consistant à substituer les énergies
renouvelables à l’énergie de source nucléaire. »
Les objectifs très
volontaristes de développement éolien sont donc largement déconnectés de
leur performance et de leur utilité climatique. Pire, ils demandent à
nos concitoyens, en plus d’un effort financier, un effort sociétal pour
les accepter malgré des externalités négatives conséquentes. C’est
le troisième paradoxe éolien : alors que la silhouette distinctive des
éoliennes est connotée très positivement auprès des médias et des
gouvernements qui l’associent à une démarche environnementale vertueuse
et progressiste, l’ampleur de leur impact sur le cadre de vie,
particulièrement dans les campagnes, est inédit dans l’histoire. La
physionomie des horizons ruraux, forgée par une structure agraire
séculaire, n’avait jamais été aussi lourdement influencée par un élément
industriel. C’est une profonde remise en question de la notion même de
ruralité telle qu’elle est conçue et chérie dans notre inconscient
collectif et qui constitue notre patrimoine immatériel au charme reconnu
dans le monde entier. La présence de ces turbines y compris aux abords
de monuments historiques peut sévèrement atteindre leur attractivité.
Pire, les nuisances
sonores et électromagnétiques occasionnées par les éoliennes aux abords
des zones d’habitation, ainsi que le brassage d’air qu’elles
occasionnent, sont souvent évoqués par les riverains comme des nuisances
pouvant affecter leur qualité de vie, mais aussi la valeur de leur
patrimoine immobilier. La destruction massive d’oiseaux est également
évoquée. Ces aspects n’ont manifestement pas fait l’objet d’études assez
poussées de la part des pouvoirs publics, et mènent à la généralisation
du mécontentement dans les départements les plus dotés en éoliennes.
Cette
sous-évaluation des impacts négatifs des éoliennes constitue un autre
paradoxe : malgré une popularité en apparence solide (d’après un sondage
Harris Interactive pour France Énergie Éolienne d’octobre 2018, 73 %
des Français ont une image positive des éoliennes), aucune autre
industrie ne suscite autant de contestations judiciaires et sociales qui
se manifestent par un taux très élevé de recours en justice. La
situation est telle que le Gouvernement s’est résolu à supprimer par
décret un degré de juridiction pour accélérer la purge des recours
contentieux contre les éoliennes terrestres : une dérogation inédite qui
vise à taire le malaise que suscite cette technologie dans l’opinion
publique. Dans ce contexte, les outils de démocratie directe sont
clairement mal pensés et donnent le sentiment qu’ils servent à écouter
les promoteurs plutôt que le peuple. Un peuple qui ne bénéficie pas
vraiment des retombées de la filière éolienne.
Évoquons enfin le
cinquième paradoxe des éoliennes : malgré la place de premier ordre
prise par la France dans le domaine éolien (7e pays mondial
en terme de puissance installée), les retombées industrielles,
commerciales et en termes d’emploi sont incomparablement plus faibles
que celles que l’on peut observer dans d’autres pays voisins. Le
secteur ne fournit que 18 000 emplois actifs, directs et indirects en
France, moins d’un quart étant des emplois industriels. Par ailleurs, la
balance commerciale de la filière était encore négative en 2015, avec
environ 951 M€ d’importations pour 663 M€ d’exportations (rapport
de 2017 de l’ADEME sur la filière éolienne française). En réalité, la
France a échoué à créer le moindre champion industriel, important la
plupart de ses équipements des leaders allemands et danois.
Dans ces conditions, une
réforme globale et profonde du système éolien est nécessaire. La
présente proposition de loi n’est pas une tentative d’opposition à la
filière éolienne, dont les vertus sont reconnues, notamment la
diversification de notre bouquet énergétique. Il s’agit simplement
d’ancrer son développement dans une série de règles plus respectueuses
de l’argent public, du cadre de vie de nos concitoyens et des impératifs
de notre équilibre énergétique.
L’article premier établit
un moratoire sur l’installation de nouvelles éoliennes afin de prendre
le temps de la réflexion. Toutes les raisons évoquées ci-dessus donnent à
penser qu’un emballement s’est produit. Ce moratoire permettra de
clarifier les règles relatives à la filière. En Espagne, un tel
moratoire a été mis en œuvre entre 2013 et 2016, ce qui a permis au pays
de revoir sa réglementation. Cette décision a été bénéfique et n’a pas
empêché l’Espagne de devenir l’un des leaders européens de l’éolien, qui
couvre aujourd’hui 20 % de sa consommation d’énergie. Un moratoire a
également été nécessaire en France en 2010 pour calmer l’emballement sur
les panneaux solaires.
Une fois ce moratoire
mis en place, les autres articles proposent toutes les réformes propres à
constituer un meilleur cadre pour le développement durable et
responsable de cette énergie.
L’article 2 vise à
mettre fin aux aides publiques à la filière éolienne. En tant que
filière mature et "au prix du marché", selon les mots du ministre de la
transition écologique et solidaire, elle n’a manifestement plus besoin
d’aides publiques.
L’article 3 vise à
rendre obligatoire la mise en concurrence inter-technologies qui a déjà
été essayée de manière concluante par le ministère de la transition
écologique et solidaire.
L’article 4 vise à abroger les tarifs de rachat garantis.
L’article 5 vise à
porter à 75 % l’importance pondérée du critère du prix des projets dans
l’évaluation de la qualité des dossiers lors des appels d’offres.
L’article 6 vise à
mettre en place un droit pour les régions de suspendre l’installation
de nouvelles éoliennes dans le cas où ce qu’on pourrait appeler leur
« indice d’effort éolien » (puissance installée par rapport à la surface
par rapport au potentiel) serait trop supérieur à une autre région. Il
s’agit de répartir l’effort équitablement entre toutes les régions de
France en cohérence avec leurs capacités venteuses.
L’article 7 vise à
supprimer l’exemption de la quote-part de raccordement pour l’éolien
offshore, rajoutée par un amendement gouvernemental à la loi sur
l’interdiction de l’exploitation des hydrocarbures en 2017. Cette
exemption crée une distorsion de concurrence en France avec les autres
filières (éolien terrestre, solaire photovoltaïque, etc.).
L’article 8 vise à
réorganiser les retombées fiscales entre les communes d’où les
éoliennes maritimes sont visibles. Actuellement, deux critères sont
considérés : la distance qui sépare la commune des éoliennes et la
population communale. Ce deuxième critère ne semble pas pertinent et
devrait plutôt être remplacé par la longueur du linéaire côtier d’où les
installations sont visibles.
L’article 9 vise à déclarer que le développement de l’énergie éolienne doit se faire dans le respect de l’environnement.
L’article 10 vise
à améliorer la transparence et l’information du public en matière
d’énergie éolienne, à l’aide d’un rapport annuel officiel qui
contiendrait plusieurs informations actuellement difficiles d’accès ou
disséminées.
L’article 11 vise
à fixer la distance d’éloignement minimale entre les habitations et les
éoliennes proportionnellement à la hauteur de ces dernières,
conformément à la recommandation formulée par l’Académie de médecine
dans son rapport de 2017. Ce rapport indique que les nuisances sont
liées à la puissance des éoliennes, et donc à leur taille. Il précise
également que plusieurs études « concluent qu’à l’intérieur d’un
périmètre de 1,5 kilomètres le bruit émis par les éoliennes perturberait
la qualité du sommeil ». Pour ces raisons, il est proposé de fixer un
multiplicateur de huit fois la hauteur de l’éolienne, pales comprises.
Cela permettrait que les éoliennes de 180 mètres de hauteur soient
éloignées de près d’1,5 kilomètre des habitations. En France, la taille
moyenne d’une éolienne est de 135 mètres : la distance d’éloignement des
habitations passerait de 500 mètres actuellement à un kilomètre, soit
la distance actuellement envisagée par les pouvoirs publics allemands.
L’article 12 reprend
le dispositif adopté au Sénat en 2016 visant à protéger le patrimoine
de l’implantation débridée d’éoliennes en demandant l’avis favorable des
architectes des bâtiments de France (ABF) lorsque les turbines seront
implantées en covisibilité avec des monuments historiques ou des sites
de l’UNESCO.
L’article 13 vise
à rendre obligatoire le démantèlement complet du socle en béton des
éoliennes lors de la remise en état des sites. Actuellement, les textes
réglementaires ne prévoient d’enlever le socle que sur un mètre de
profondeur en zone agricole et deux mètres en zone forestière, or ces
socles atteignent parfois une vingtaine de mètres de profondeur. Cela
représente, fin 2018 environ 7 millions de tonnes de béton armé laissés
dans les sols partout en France. L’obligation d’excavation des socles en
béton armé serait, d’après M. Charles Lhermitte, vice-président de
France Énergie Éolienne, « très simple et pas beaucoup plus coûteux ».
Il est donc proposé de la mettre en place.
L’article 14 vise
à faire de la garantie obligatoire exigée en prévision du développement
des éoliennes, fonction du coût de construction du parc. En effet,
actuellement, la garantie est fixée par l’arrêté du 26 août 2011 à
50 000 € par éolienne. Lors de la commission d’enquête, M. Jean-Yves
Grandidier, fondateur et président du Groupe Valorem, a précisé : « Le
démantèlement d’un parc éolien coûte 50 000 à 75 000 euros par MW, soit
3 % à 5 % du coût de construction. » Il est donc proposé d’exiger une
garantie de 5 % du coût de construction.
L’article 15 vise
à rendre obligatoire la saisine de la Commission nationale du débat
public (CNDP) avant tout lancement de procédure de mise en concurrence
pour la construction et l’exploitation d’éoliennes terrestres, comme
c’est déjà le cas s’agissant de l’éolien offshore. Il est primordial que
le public soit consulté, notamment sur la localisation du projet, afin
de pallier le déficit démocratique et de légitimité qu’occasionne
souvent une prise de décision unilatérale s’agissant des projets
d’éoliens terrestres.
L’article 16 vise
à ce que l’avis conforme en cas d’installation d’éoliennes en mer ayant
un impact sur les fonds marins soit obligatoirement délégué aux parcs
naturels marins.
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