"Les énergies vertes sont-elles vraiment propres ?", s'interroge Eric Meyer, rédacteur en chef de GEO.
Un voyage en Bolivie, sur le miroir du
salar d'Uyuni,
est l’occasion d’admirer une merveille mondiale de la nature mais aussi
d’enterrer une chimère écologique. Là-bas, les Boliviens exploitent le
lithium enfoui sous la croûte de sel. Ce minerai est en effet la matière
première des batteries, nécessaires pour alimenter les millions de
véhicules électriques que les constructeurs, notamment chinois, ont
prévu de lancer sur les routes du monde. Autour des salars de Bolivie
apparaît la part d’ombre de ce projet : cours d’eau asséchés, paysans
floués, tourisme menacé. L’or blanc devient très sale… Au-delà du cas
bolivien, le bilan écologique du
véhicule électrique,
qui commence à être connu aujourd’hui, montre que la sympathique notion
«d’électromobilité» crée autant de problèmes qu’elle n’en résout*. Le
remplacement d'une dépendance (au pétrole) par une autre (au
lithium), entre autres.

Voilà
une triste nouvelle de plus pour qui s’imaginerait encore qu’il suffit
d’un peu de volonté pour passer de l’ancien monde «sale» (celui des
énergies fossiles), au nouveau, «propre». Le concept de transition
énergétique dissimule parfois sous sa brume sémantique des rêves flous
et fous : transformer nos villes bruyantes et polluées en havres de
silence grâce à la voiture électrique ; décarboner la planète en
douceur, grâce à l’énergie éternelle du soleil et du vent. Mais au fur
et à mesure que les expériences avancent, la réalité se fait jour, plus
nuancée, avec les inconvénients, les problèmes techniques, les factures
aussi. Les Allemands s’aperçoivent que leur vaste programme de
transition énergétique lancé en 2011 après
Fukushima
leur a coûté des sommes astronomiques (160 milliards d’euros ces cinq
dernières années) sans que les émissions de CO2 n’aient baissé
franchement. Parmi leurs 30 000 éoliennes, beaucoup sont en panne, mal
reliées au réseau de distribution, et posent un cruel dilemme aux
amateurs de nature, qui voudraient en même temps protéger le milan royal
et les jolis paysages.
En
France aussi, on sait maintenant que l’arbitrage n’est pas simple entre
la volonté de sortir du pétrole et la nécessité de payer une taxe pour
cela. Et l’honnêteté oblige à dire que l’excellent classement (deuxième)
de notre pays dans le récent palmarès mondial de la performance
environnementale, établi par l’université de Yale, est dû principalement
au fait que nous avons perdu beaucoup d’usines et conservé nos
centrales nucléaires. Quant aux exemples marquants de transitions
énergétiques réussies, ils sont localisés dans des zones peu peuplées,
des lieux (des îles par exemple) où le soleil ou le vent sont généreux.
Ou alors ordonnés par des gouvernements qui ne laissent pas le choix à
leurs citoyens (la Chine). La nécessité de rompre notre addiction aux
énergies fossiles n’est bien entendu pas contestable, ne serait-ce que
pour la raison – physique – que les stocks de pétrole, de gaz et de
charbon ont une fin. Mais ne nous cachons pas qu’elle nécessitera la
mise en place de solutions techniquement difficiles à mettre en œuvre,
politiquement risquées et qui exigeront une analyse précise des coûts et
des avantages. Ce sera long, cher, voire pénible. Très loin des
chimères vertes.